L’INFLUENCE : FORMES TRADITIONNELLES, FORMES NOUVELLES, MÊMES MÉCANISMES. Claude REVEL
HISTOIRE D’UNE RÉSILIENCE. Recension : Japon, l’envol vers la modernité, ouvrage de P.A. Donnet
LA RUSSIE A-T-ELLE LES MOYENS DE VAINCRE EN 2024 ? Michel FOUQUIN
JACQUES DELORS, L’EUROPEEN. Par Jean-Marc SIROËN
LE GEOINT MARITIME, NOUVEL ENJEU DE CONNAISSANCE ET DE PUISSANCE. Philippe BOULANGER
INTERDÉPENDANCE ASYMÉTRIQUE ET GEOECONOMICS. Risque géopolitique et politique des sanctions
VERS DES ÉCHANGES D’ÉNERGIE « ENTRE AMIS » ? Anna CRETI et Patrice GEOFFRON
LA FIN DE LA SECONDE MONDIALISATION LIBÉRALE ? Michel FOUQUIN
DE LA FRAGMENTATION À L’INSTALLATION D’UN « DÉSORDRE » MONDIAL (I)
DE LA FRAGMENTATION À L’INSTALLATION D’UN « DÉSORDRE » MONDIAL (II)
DÉMOCRATIE et MONDE GLOBALISÉ. À propos de la « Grande Expérience » de Yascha Mounk
ART ET DÉNONCIATION POLITIQUE : LE CAS DE LA RDA. Elisa GOUDIN-STEINMANN
ET SI LE RETOUR DE L’INFLATION ÉTAIT UN ÉVÈNEMENT GÉOPOLITIQUE ? Sylvie MATELLY
LES NEUTRES OPPORTUNISTES ONT EMERGÉ. Thomas Flichy de la Neuville
LE GROUPE DE BLOOMSBURY ET LA GUERRE. CONVICTIONS ET CONTRADICTIONS. Par Jean-Marc SIROËN
LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE, AVENIR DE L’INDUSTRIE ? Par Nadine LEVRATTO
UKRAINE. « IL FAUDRAIT PROCÉDER À UNE REFONTE DES TRAITÉS QUI RÉGULENT LA SÉCURITE EUROPÉENNE »
NE PAS SE SOUMETTRE À L’HISTOIRE. IMPRESSIONS DE « DÉJA VU »
LA MONDIALISATION A ENGENDRÉ UNE CONFLICTUALITÉ PERMANENTE. Par Raphaël CHAUVANCY
ÉTHIQUE NUMERIQUE ET POSTMODERNITÉ. Par Michel MAFFESOLI
UNE MONDIALISATION À FRONT RENVERSÉ
LES DESSOUS GÉOPOLITIQUES DU MANAGEMENT. Par Baptiste RAPPIN
LE COVID-19 S’ENGAGE DANS LA GUERRE MONDIALE DES VALEURS. Par J.P. Betbeze
LE MULTILATERALISME EN QUESTION. Par Philippe MOCELLIN
« LE VRAI COUPABLE, C’EST NOUS » !
VIVE L’INCOMMUNICATION. Par Dominique WOLTON
LES SENTIERS DE LA GUERRE ECONOMIQUE. Par NICOLAS MOINET
LE RETOUR DES NATIONS... ET DE L’EUROPE ?
LES FUTURS POSSIBLES DE LA COOPERATION FRANCO-ALLEMANDE. Claire DEMESMAY
GEOPOLITIQUE DE LA PROTECTION SOCIALE. Julien DAMON
L’ACTUALITE DE KARL POLANYI. Par Nadjib ABDELKADER
« LE MONDE D’AUJOURD’HUI ET LE MONDE D’APRES ». Extraits de JEAN FOURASTIE
VERS UNE CONCEPTION RENOUVELÉE DU BIEN COMMUN. Par F. FLAHAULT
« POUR TIRER LES LEÇONS DE LA CRISE, IL NOUS FAUT PRODUIRE MOINS ET MIEUX ». Par Th. SCHAUDER
AVEUGLEMENTS STRATEGIQUES et RESILIENCE
LE CAPITALISME et ses RYTHMES, QUATRE SIECLES EN PERSPECTIVE. Par Pierre Dockès
NATION et REPUBLIQUE, ALLERS-RETOURS. Par Gil DELANNOI
L’INDIVIDU MONDIALISE. Du local au global
LE DEFI DE L’INTELLIGENCE ECONOMIQUE par N. Moinet
De la MONDIALISATION « heureuse » à la MONDIALISATION « chute des masques »
Lectures GEOPOLITIQUES et GEOECONOMIQUES
QUAND le SUD REINVENTE le MONDE. Par Bertrand BADIE
L’ETAT-NATION N’EST NI UN BIEN NI UN MAL EN SOI". Par Gil Delannoi
LA MONDIALISATION et LA SOUVERAINETE sont-elles CONTRADICTOIRES ?
SOLIDARITE STRATEGIQUE et POLITIQUES D’ETAT. Par C. Harbulot et D. Julienne
La gouvernance mondiale existe déjà… UN DIALOGUE CRITIQUE AVEC B. BADIE
LA LITTERATURE FAIT-ELLE DE LA GEOPOLITIQUE ?
PENSER LA GUERRE AVEC CLAUSEWITZ ?
L’expression GUERRE ECONOMIQUE est-elle satisfaisante ?
LA GEOPOLITIQUE et ses DERIVES
A propos d´un billet de Thomas Piketty
Conférence de Bertrand Badie : Les embarras de la puissance (9 février 2014)
LA MONTÉE DES POPULISMES EN OCCIDENT : UNE CONSÉQUENCE DES DÉRIVES DE LA MONDIALISATION NÉO-LIBÉRALE. Sean SCULL
A propos de la crise démocratique
vendredi 20 décembre 2024 Sean SCULL
Un article salutaire à de nombreux égards... en particulier pour les jeunes lecteurs, au moment où le monde se fragmente économiquement, sur le plan social et sociétal. Le contexte historique présent est à la (re)construction de capitalismes autoritaires et nationalistes. « Le populisme, dans sa configuration actuelle, peut-être compris comme une contre-réaction au néolibéralisme du fait de la promotion de la souveraineté politique et économique ». Une définition sur le fil... que certains font vite basculer vers le souverainisme.
En s’appuyant sur de nombreux exemples, Sean Scull (1) nous éclaire sur le populisme - un terme valise - par une analyse essentielle, en partant dans un large premier temps sur la mise en place historique du néo-libéralisme et sur son ancrage doctrinal. Le néo-libéralisme est une doctrine/idéologie, créatrice de certaines valeurs...
On le « confond » souvent avec le libéralisme économique classique et le libéralisme politique (celui des Droits et Libertés). Une instrumentalisation grandement utile pour les pourfendeurs internes et externes des démocraties et de l’Universalisme des Droits de l’Homme...
(1) Sean Scull est chargé de projets au think tank SKEMA Publika et auteur de « Le populisme : symptôme d’une crise de la démocratie », L’Harmattan 2024. Sean a vécu et travaillé en Suède et aux États-Unis d’Amérique.
« Novus Ordo Seclorum » [1]. Cette devise en latin, publiée par Elon Musk sur X-Twitter au lendemain de la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle, illustre la nouvelle ère politique dans laquelle la nouvelle administration conservatrice ambitionne de faire entrer les Etats-Unis d’Amérique. En effet, face à un monde en fracturation, au retour des guerres et aux nouveaux rapports de force qui émergent, le constat est clair, le mouvement populiste MAGA (Make America Great Again) a séduit les Américains.
Néanmoins, la victoire de Donald Trump n’est pas un cas isolé, elle s’inscrit dans un contexte d’une montée en puissance des mouvements populistes à travers le globe depuis le début les années 1990. Plus particulièrement, au sein des démocraties libérales qui assistent à une montée de partis et de personnalités populistes de gauche comme de droite. En 2016, au Royaume-Uni le vote victorieux en faveur du Brexit est analysé comme le fruit d’un vote populiste. En 2022, en Italie, le parti populiste de droite, les Frères d’Italie arrivent au pouvoir et Giorgia Meloni est la première femme à accéder à la présidence du Conseil des ministres. La même année, plus au nord, en Suède une coalition de droite modéré arrive au pouvoir avec le soutien du parti populiste de droite des Démocrates de Suède. Puis, en France nous avons actuellement l’exemple des partis politiques du Rassemblement national et de La France insoumise qui ont connu une ascension fulgurante ces dernières années allant jusqu’à bouleverser le paysage politique français, comme l’illustre la motion de censure qui a renversé le gouvernement de Michel Barnier en décembre 2024.
Ainsi, les questions que nous posons dans cet article sont les suivantes :comment expliquer cette montée des populismes occidentaux ? En quoi le populisme bouleverse-t-il quatre décennies d’hégémonie néolibérale ?
Pour répondre à ces interrogations, nous allons dans un premier temps aborder la promesse néolibérale de prospérité économique. Dans un deuxième temps, nous poserons le constat d’une mondialisation néolibérale au bilan mitigé. Puis, dans une troisième partie nous verrons que la montée des populismes peut être analysée comme une contre-réaction aux dérives de la mondialisation néolibérale.
Toutefois, une précision méthodologique s’impose. Il existe déjà un océan d’écrits qui tentent d’expliciter la nature du populisme. Plusieurs définitions existent dont celle de Cas Mudde et de Cristóbal Rovira Kaltwasser, qui décrivent le populisme comme une idéologie fine ou celle de Pierre-André Taguieff qui identifie le populisme comme un style politique. De leurs côtés Jan-Werner Müller perçoit le populisme comme l’ombre de la démocratie représentative et Kurt Weyland comme une stratégie politique. Ces nombreuses définitions illustrent l’incertitude qui plane autour du terme de populisme. Par conséquent, il n’existe pas de définition consensuelle. Cet article se démarque de l’approche conventionnelle du populisme, dans la mesure où nous n’adoptons pas une démarche descriptive mais explicative. C’est-à-dire de tenter de comprendre les phénomènes qui ont mené à son émergence. En outre, nous prenons nos distances avec l’utilisation péjorative du terme populiste visant à discréditer un adversaire politique. Notre compréhension du populisme est strictement scientifique dans la mesure où c’est un terme utilisé dans la littérature académique pour qualifier l’émergence d’un certain type de mouvement politique dans les démocraties libérales.
Le néolibéralisme et la promesse de prospérité économique pour tous
Le néolibéralisme est une théorie politico-économique qui est née à la fin des années 1970 en réaction à l’échec de l’interventionnisme keynésien, de l’ouverture des économies et du ralentissement de la croissance. Face aux difficultés économiques, l’ambition du néolibéralisme était de revenir à une théorie libérale classique de l’économie de dérégulation du marché afin de rendre les économies plus productives. Le néolibéralisme prend notamment ses sources dans les théories de Milton Friedman de la Chicago School of Economics.
Néanmoins, tel le populisme, le néolibéralisme est aujourd’hui un terme passe partout qui est employé pour discréditer le discours d’un adversaire politique. Ainsi, une définition s’impose. Le néolibéralisme est à la fois une théorie économique, politique et un ensemble de valeurs. C’est d’abord une théorie économique selon laquelle l’économie n’a pas besoin de l’État pour réduire les inégalités, car elle s’autorégule. Le rôle de l’État doit se limiter à créer le cadre institutionnel, politique et idéologique afin d’assurer le bon fonctionnement du marché. Le néolibéralisme se distingue du libéralisme classique par sa promotion d’une politique d’intervention de l’Etat en faveur de la concurrence et du marché. Puis, le néolibéralisme est une politique sociale incarnée par l’idée selon laquelle le marché est la solution à tous les problèmes et que la société doit être gérée selon des déterminismes économiques. C’est la vision de la « société entreprise ». Autre distinction entre le libéralisme classique et le néolibéralisme, est la place prépondérante du principe d’accumulation du capital par la spéculation financière au lieu de la production et du commerce [2]. De plus, la logique néolibérale pousse à la destruction des collectifs qui font obstacle au marché en prônant les droits individuels. Cela passe par la destruction du concept d’Etat-nation, des syndicats, des associations, de la famille nucléaire etc. Le néolibéralisme incarne également un ensemble de valeurs, celle de la promotion de l’individu au détriment de la collectivité. Notamment par les valeurs de la liberté, de la compétition, de l’individualisme au détriment des valeurs communes telles que l’égalité et l’équité. Le néolibéralisme affirme une suprématie des valeurs économiques sur les valeurs humaines. Les plus illustrent promoteurs de l’approche néolibérale en politique étaient Ronald Reagan et Margaret Thatcher alors au pouvoir respectivement aux Etats-Unis d’Amérique et au Royaume-Uni. La citation suivante, de Margaret Thatcher, illustre parfaitement la vision néolibérale de la société : “There is no such thing as society. There are only individual men and women…”
En résumé, le néolibéralisme se fonde sur la croyance selon laquelle la spéculation financière, la liberté et la compétitivité du marché permettent un enrichissement de la majorité de la population. Cette vision a été prédominante au sein des démocraties libérales depuis les années 1980. En effet, au nom du culte néolibéral les décideurs de politiques publiques ont mené des réformes économiques visant à accroître la liberté des affaires, notamment par la privatisation des entreprises et des coupes opérées dans les politiques de protection sociale. Lors de son arrivée au pouvoir en 1979, Margaret Thatcher a par exemple supprimé les subventions étatiques aux secteurs non rentables. Comme dans le secteur des mines où la commission nationale du charbon décida en 1984 de fermer une vingtaine de puits déficitaires et supprimer 20.000 emplois [3]. La Dame de fer balayait toute critique à l’égard de sa politique par le seul mot TINA, abréviation de There Is No Alternative. En 1983, face aux difficultés économiques, François Mitterrand a été contraint d’opérer un tournant de la rigueur et par conséquent renoncer à son programme de rupture avec le capitalisme en faisant entrer la France dans l’ère néolibérale. En conséquence, le gouvernement socialiste a été contraint d’abandonner une politique de relance keynésienne au profit d’une politique de réduction des dépenses publiques [4]. En Suède dans les années 1990, le néolibéralisme a, sous l’impulsion des réformes de la nouvelle gestion publique, instauré une logique de gestion empruntées aux entreprises privées dans le but de rendre le secteur public plus efficace, productif et rentable [5]. Ainsi, les logiques de nouvelle gestion publique ont par exemple été appliqué à l’éducation ou à la santé. Outre atlantique, c’est avec l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan que les Etats-Unis d’Amérique connaissent leur révolution néolibérale. Le président républicain applique les Reaganomics, un programme de politique économique de réduction de l’impôt fédéral sur le revenu pour les ménages les plus aisés, réduction de l’impôt sur les plus-values, une réduction de la régulation publique, et une lutte contre l’inflation [6]. Les politiques néolibérales ont continué à être mené par les successeurs de Ronald Reagan. Comme l’illustre la mise en place de l’accord de libre-échange, en 1993, de l’ALENA (NAFTA en anglais) entre le Canada, le Mexique et les Etats-Unis d’Amérique.
Ainsi, le néolibéralisme a incarné une véritable révolution au sein des démocraties libérales occidentales, dans la mesure où cette théorie a été le moteur idéologique de la mondialisation depuis les années 1980.
Une mondialisation néolibérale au bilan mitigé
Depuis la chute de l’URSS en 1991 et la fin du modèle concurrent communiste, le capitalisme néolibéral a régné en modèle incontestable sur les démocraties occidentales, sans alternative sérieuse. Les sociétés capitalistes et leur mode de vie sont depuis présentés comme le modèle de référence de réussite sociale dans l’histoire mondiale. En effet, le néolibéralisme a apporté une certaine prospérité, en permettant aux populations occidentales d’accéder à des produits de consommation de masse bon marché et les populations des pays en développement de s’industrialiser. Mais après 40 ans de mondialisation néolibérale nous pouvons poser le constat d’un bilan mitigé. Toutefois, pour balayer tout soupçon d’antilibéralisme, nous précisons que dans le cadre de cette contribution nous analysons la variante économique du libéralisme appelé néolibéralisme et non la variante politique qui a grandement contribué à la mise en place de la démocratie libérale moderne.
Sous l’impulsion du néolibéralisme les sociétés occidentales ont changé drastiquement du point de vue de leur organisation économique et sociale. Le néolibéralisme a engendré une précarisation de la société. Dans l’ouvrage Le Précariat, Guy Standing révèle l’existence de cette nouvelle classe sociale, conséquence directe des réformes économiques néolibérales de maximisation de la compétitivité et de flexibilisation du marché du travail. Etymologiquement « le précariat » est formé des mots « précaire »et « prolétariat » et il désigne un groupe socio-économique inférieure à la classe ouvrière. En effet, le précariat est déterminé par des emplois instables et flexibles qui créent un sentiment d’insatisfaction dans la mesure où ces conditions maintiennent le travailleur dans une situation d’insécurité qui empêche toute perspective d’avenir. De plus, les statistiques illustrent une précarisation de la société avec un rétrécissement de la classe moyenne. Selon le Pew Researh Center, aux Etats-Unis d’Amérique la proportion d’adultes vivant dans des ménages de classe moyenne est passée de 61 % en 1971 à 50 % en 2021 [7].
En plus d’une précarisation du marché du travail, le néolibéralisme a mené à un déclassement socio-économique d’une partie de la population occidentale. En France, à la suite des politiques de désindustrialisation depuis les années 1980 l’industrie ne représentait plus en 2018 que 13,4 % du PIB. A titre de comparaison en 1980 l’industrie représentait plus de 20% du PIB [8]. Aux Etats-Unis d’Amérique la mise en place de l’accord de libre-échange de l’ALENA a également entraîné des conséquences désastreuses pour le secteur industriel du pays avec des délocalisations massives et une baisse de l’emploi manufacturier, qui est passé de 16,8 millions en 1993 à 12, 9 millions en 2023 [9]. En Suède, les réformes de privatisation du secteur public ont engendré une baisse de la qualité des services publics et ont permis l’enrichissement d’une minorité de personnes sur le dos des contribuables. En suédois ils sont surnommés välfärdsmiljardärer, c’est-à-dire, les milliardaires de l’Etat-providence. Selon le quotidien suédois Expressen, en 2013 Carema Care (aujourd’hui Vardaga), une entreprise suédoise spécialisée dans les soins aux personnes âgées, réalisait un chiffre d’affaires de 5,9 milliards de SEK (couronne suédoise). Un autre exemple est Academia, une entreprise suédoise qui gère des écoles privées, qui a réalisé en 2013 un chiffre d’affaires de 4,7 milliards de SEK [10].
Le néolibéralisme a également engendré une crise de la démocratie libérale en conduisant à la domination de la sphère économique sur la sphère politique. En d’autres termes, les démocraties libérales sont aujourd’hui gouvernées selon une logique économique et non politique. L’objectif du néolibéralisme est de permettre au mécanisme du marché de diriger le destin des êtres humains. C’est l’économie qui doit dicter ses règles à la société, et non l’inverse. Les gouvernements, pourtant élus par le peuple, pensent aujourd’hui les politiques publiques pour satisfaire le pouvoir économique et non la souveraineté populaire. Le pouvoir n’est plus entre les mains des politiques, mais d’institutions extrapolitiques telles que les agences de notations, les traités économiques internationaux et les organisations internationales. En effet, les agences de notations attribuent une note aux Etats en fonction de leur santé financière. Pour bénéficier de prêts auprès des banques privés les Etats ont besoin d’une bonne note. Ainsi, pour faire fonctionner l’Etat les politiques rendent des comptes (de manière délibérée ou non) aux agences de notations. En considérant l’actualité récente autour de l’instabilité gouvernementale française, avec quatre premiers ministres en 2024, l’agence de notation américaine Moody’s a dégradée la note de la France en raison de l’incapacité de se conformer au cadre budgétaire européen et de consolider les finances publiques en réduisant le déficit budgétaire [11]. Les traités économiques internationaux conditionnent également le politique. Par exemple, les traités européens encadrent les politiques macro-économiques des Etats. Puis, les organisations internationales, telle que l’OMC ou le FMI, qui ouvertement prônent des politiques économiques d’austérité. Les décisions publiques sont de plus en plus dictées par ces impératifs économiques externes. Ce rapport de force antidémocratique a engendré le sentiment de perte de souveraineté et l’idée selon laquelle le peuple n’est plus maître de son propre destin. Comme le décrit Karl Polanyi dans son ouvrage La Grande Transformation, le désencastrement de la sphère économique de la sphère politique mène à une crise et à un contre-mouvement d’encastrement de la sphère économique dans la sphère politique. C’est par exemple, la mise en place d’un droit du travail ou la création d’organisations syndicales. Nous verrons plus bas, que la montée des populismes correspond à ce processus d’encastrement théorisé par Karl Polanyi.
La communautarisation de la société est une autre conséquence de l’influence du néolibéralisme sur les démocraties occidentales. En effet, les démocraties occidentales se sont communautarisées sur la base de critères religieux, ethniques, sexuelles, de régime alimentaire etc. Elles sont aujourd’hui fragmentées en une pluralité de micro-communautés au credo fort hétérogène. Par exemple, la France, la Suède et les Etats-Unis d’Amérique ont connus les manifestations sur fond de revendication ethnique Black Lives Matter. Comme nous l’avons abordé plus haut, cette communautarisation de la société est le résultat de l’influence du néolibéralisme qui pousse à la destruction des collectifs qui font obstacle au marché en prônant les droits individuels. Nous pouvons aussi constater l’influence sur les démocraties libérales des nouvelles technologies de l’information et de la communication du numérique, qui, au travers des fake news, de la culture du clash et de la communication en chambre d’échos, met à mal le débat démocratique et contribue ainsi à une fragmentation de la société.
Le populisme est une contre-réaction aux dérives du néolibéralisme
Il est important de souligner qu’a l’origine le populisme n’était pas un mot péjoratif ou un mouvement politique connoté négativement. Le populisme est né aux Etats-Unis d’Amérique et en Russie à la fin du XIXe siècle. Aux Etats-Unis d’Amérique le People’s Party était un mouvement progressiste s’opposant au pouvoir commercial et industriel et critiquait les dérives oligarchiques du gouvernement fédéral. Ce mouvement défendait les intérêts du petit peuple face au pouvoir de l’argent. Au même moment, en Russie, c’est le mouvement des Narodniki qui a fait son apparition. Ce dernier s’opposait au pouvoir tsariste et militait pour la redistribution des terres aux paysans.
A l’heure actuelle, on ne peut pas comprendre la montée du populisme sans comprendre la place prépondérante du consensus néolibéral dans nos démocraties occidentales. En France et en Suède, ce consensus néolibéral est illustré par un désintérêt pour la dichotomie politique du clivage droite-gauche avec la montée des partis populistes. Aux élections présidentielles de 2022 le Rassemblement national a récolté 41,45 % des voix au second tour. En Suède aux élections parlementaires de 2022 les Démocrates de Suède ont récolté 20,53% des voix. Puis, aux Etats-Unis d’Amérique, la pression croissante de l’aile gauche du Parti démocrate et la mainmise du mouvement MAGA sur le Parti républicain illustre un rejet des Républicains et des Démocrates centristes. On note des points de convergences entre le mouvement MAGA et l’aile gauche des Démocrates. Tous deux sont hostiles à l’accord de libre échange ALENA et plus récemment Bernie Sanders a fait l’éloge des projets d’Elon Musk visant à réduire les dépenses de défense dans le cadre du DOGE (Department of Government Efficiency) [12].
Le populisme, dans sa configuration actuelle, peut-être compris comme une contre-réaction au néolibéralisme du fait de la promotion de la souveraineté politique et économique. En France le Rassemblement national dénonce ouvertement le tournant néolibéral opéré sous la présidence de François Mitterrand en 1983, mais également les délocalisations d’industries, la concurrence déloyale, le recul de la souveraineté et la communautarisation de la société avec notamment l’immigration de masse. Le parti à la flamme fait la promotion de la souveraineté à travers le patriotisme économique. De son côté, La France insoumise défend le souverainisme économique au nom de la transition écologique. En Suède, les Démocrates de Suède s’opposent à la communautarisation de la société en dénonçant l’immigration incontrôlée et en prônant une vision de la société selon laquelle avant d’être un individu on est suédois avant tout. Puis, toujours en Suède, le Parti de gauche s’oppose ouvertement au néolibéralisme au nom de l’égalité sociale et de la lutte contre la pauvreté. Outre Atlantique, le mouvement MAGA s’inscrit aussi dans une ligne souverainiste en prônant l’utilisation de barrières douanières, la réindustrialisation et en s’opposant à la fragmentation de la société en luttant contre l’idéologie Woke. Toutefois, ce qui va distinguer le populisme de gauche et de droite sont, notamment, les divergences sur l’immigration, la sécurité et la lutte contre la communautarisation de la société.
En conclusion, la dynamique de la montée des populismes occidentaux peut, en partie, être comprise à la lumière de la théorie de Karl Polanyi. C’est-à-dire comme le processus d’encastrement de la sphère économique par la sphère politique. A la suite du processus de désencastrement de l’économie sous l’impulsion du néolibéralisme, les partis populistes de gauche et de droite prônent un souverainisme économique et donc une reprise en main du politique sur l’économique.
Sean Scull, le 20 décembre 2024
Mots-clés
« mondialisation heureuse et froide »Communauté
économie et histoire
Elections
gouvernance
Influence
Institutions
Nation
Questions de « sens »
Société
sécurité et liberté
Populisme
Democratie
Allemagne
Etats-Unis
Europe
France
Inde
Occident
Union européenne
Notes
[1] Musk, E. (2024). X-Twitter https://x.com/elonmusk/status/1854313368401613146
[2] Askenazy, P. (2017) . Finance et néolibéralisme. Revue d’économie financière, N° 128(4), 45-58. https://doi.org/10.3917/ecofi.128.0045.
[3] Counis. A. (2018). 1984-1985 La Dame de fer contre les hommes du charbon. Les Echos. https://www.lesechos.fr/2018/07/1984-1985-la-dame-de-fer-contre-les-hommes-du-charbon-1120320
[4] Vie Publique. (1983). CM. 25 mars 1983 Programme d’action en dix points pour le rétablissement des équilibres extérieurs de la France. (I). https://www.vie-publique.fr/discours/152544-conseil-des-ministres-25031983-equilibres-exterieurs-de-la-france-i
[5] Lundquist, A. L. (2013). NPM och demokrati. 30 år, 53.
[6] Ronald Reagan Presidential Foundation and Institute. Reaganomics : Economic Policy and the Reagan Revolution. https://www.reaganfoundation.org/ronald-reagan/the-presidency/economic-policy/?srsltid=AfmBOoqHndcaE63Q1Wuig01YMKc8fznYarAKQiw_tDoqBpSMuz2knJsq
[7] Blazina, C. (2024, 3 juin). How the American middle class has changed in the past five decades. Pew Research Center. https://www.pewresearch.org/short-reads/2022/04/20/how-the-american-middle-class-has-changed-in-the-past-five-decades/
[8] France Stratégie. (2020). Les politiques industrielles en France Évolutions et comparaisons internationales. https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2020-ns-politiques-industrielles-decembre.pdf
[9] Floyd, D. (2024). How Did NAFTA Affect the Economies of Participating Countries ? Investopedia. https://www.investopedia.com/articles/economics/08/north-american-free-trade-agreement.asp#:~:text=NAFTA%20went%20into%20effect%20in,at%20the%20end%20of%202016.
[10] Johansson, R., Salihu, D., & Törnmalm, K. (2016, 27 mai). De tjänar miljoner kronor på vår välfärd. Expressen. https://www.expressen.se/nyheter/de-tjanar-miljoner-kronor-pa-var-valfard/
[11] Errard, G. (2024, 14 décembre). Agences de notation : après sa dégradation par Moody’s, où la note de la France se situe-t-elle par rapport aux autres pays ? Le Figaro. https://www.lefigaro.fr/conjoncture/agences-de-notation-apres-sa-degradation-par-moody-s-ou-la-note-de-la-france-se-situe-t-elle-par-rapport-aux-autres-pays-20241214
[12] Craig, S. (2024, 1 décembre). ‘Elon Is Right’ : Bernie Sanders Praises Musk for Key DOGE Proposal. The Daily Beast. https://www.thedailybeast.com/elon-is-right-bernie-sanders-praises-musk-for-key-doge-proposal/
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De la MONDIALISATION « heureuse » à la MONDIALISATION « chute des masques »
Lectures GEOPOLITIQUES et GEOECONOMIQUES
QUAND le SUD REINVENTE le MONDE. Par Bertrand BADIE
L’ETAT-NATION N’EST NI UN BIEN NI UN MAL EN SOI". Par Gil Delannoi
LA MONDIALISATION et LA SOUVERAINETE sont-elles CONTRADICTOIRES ?
SOLIDARITE STRATEGIQUE et POLITIQUES D’ETAT. Par C. Harbulot et D. Julienne
La gouvernance mondiale existe déjà… UN DIALOGUE CRITIQUE AVEC B. BADIE
LA LITTERATURE FAIT-ELLE DE LA GEOPOLITIQUE ?
PENSER LA GUERRE AVEC CLAUSEWITZ ?
L’expression GUERRE ECONOMIQUE est-elle satisfaisante ?
LA GEOPOLITIQUE et ses DERIVES
A propos d´un billet de Thomas Piketty
Conférence de Bertrand Badie : Les embarras de la puissance (9 février 2014)