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LES GIGAFACTORIES, BIG IS BEAUTIFUL ? GIGAFACTORY ET DÉCARBONATION, DEUX MOTS QUI VONT TRÉS BIEN ENSEMBLE ? Sophie BOUTILLIER

lundi 23 septembre 2024 Sophie BOUTILLIER

Automobiles, crises environnementale, formes du capitalisme... « L’électrification des procédés industriels » est au coeur de la transition. Les transports représentent 25% des émissions de CO2. Dans cet article passionnant, Sophie Boutillier (1) - dans le contexte que l’on sait - analyse le basculement en cours du moteur thermique vers le moteur électrique, symbolisé par un parallélisme historique entre les usines gigantesques de Henri Ford et celles d’Elon Musk.
« Le nouveau capitalisme industriel en transition » fait face à des enjeux économiques de taille (recherche d’économies d’échelle), sociaux et environnementaux. Mais l’article de Sophie Boutillier est bien plus que cela. C’est aussi au delà une réflexion sur les procédés industriels avec en contrepoint un contexte géoéconomique et géopolitique instable et incertain (pétrole/électricité, Chine/EU/Europe), les territoires, les Etats...
On retiendra le poids des financements étatiques et le rôle des Etats dans la recherche d’un nouveau mode de fonctionnement du capitalisme - ce qui permettra d’éviter toute naïveté idéologique...

(1) Université du Littoral-Côte d’Opale. Réseau de Recherche sur l’Innovation

LES GIGAFACTORIES, BIG IS BEAUTIFUL ? GIGAFACTORY ET DÉCARBONATION, DEUX MOTS QUI VONT TRÉS BIEN ENSEMBLE ? [1]

Depuis quelques années, le mot « gigafactory » est sur toutes les lèvres, des responsables politiques, des industriels et nombre de chercheurs, comme une espèce de promesse d’une transformation à venir du capitalisme, comme la manifestation d’une nouvelle révolution industrielle (Boutillier, 2024). Le capitalisme n’en finit pas de se transformer pour relever de nouveaux défis économiques et technologiques qui s’est lui-même imposé. Ce n’est pas nouveau, car le capitalisme ne peut être stationnaire et ne peut jamais le devenir pour paraphraser Schumpeter (1911). Mais plus encore en ce début de 21e siècle dans un contexte de changement climatique (et de la nécessaire lutte contre les émissions de Gaz à effet de serre) et d’intensification de la concurrence internationale via l’émergence de nouveaux concurrents, cette dynamique de changement prend encore de nouvelles formes que ce soit en matière d’innovation du produit, du procédé ou d’organisation.

Les années 1970 avaient vu naitre le slogan « Small is beautiful ». E. Schumacher avait mis l’accent sur des unités de production de taille humaine, le principe selon lequel que la nature devait être appréhendée comme un capital (capital naturel) et non comme un revenu, dans le contexte de la publication du rapport Meadows, « Halte à la croissance », de remise en cause du modèle de croissance de l’après-guerre. Dans les années 1970, les Etats (Fressoz, 2012) ont cependant pris véritablement conscience des dangers d’une croissance continue du Produit intérieur brut (PIB) et de ses conséquences négatives à long terme pour la planète, via la première conférence de l’Organisation des Nations Unies en 1972 sur l’environnement. Depuis cette période, les dégradations environnementales se sont accélérées, le réchauffement climatique d’origine anthropique a été clairement mis en évidence par les scientifiques, dans le cadre des rapports successifs du GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat), et la taille des entreprises n’a cessé de croitre. Les conférences internationales sur le climat se sont aussi multipliées. Sans réel résultat. Les paroles de Schumacher ont été bien oubliées. L’économie mondiale est dominée par un petit nombre de grandes entreprises, au premier rang desquelles les GAFAM pour se limiter aux entreprises des technologies numériques.

Parmi les solutions techniques recherchées pour endiguer le réchauffement climatique, il est à présent question de décarbonation, un mot valise, dont le contenu reste mal défini. Le principal accusé sont en effet les émissions de gaz à effet de serre, issus de la combustion des énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon), la solution résiderait dans la décarbonation des procédés industriels, mais aussi de la mobilité. Il s’agit pour parler simplement d’électrifier les procédés industriels. Ce qui suppose une transformation radicale des sources d’énergie utilisée, en bref une transition énergétique, des énergies carbonées aux énergies décarbonées.

Pour relever ce défi, des fonds publics et privés très importants ont été mobilisés pour construire des gigafactories, soit des usines géantes par leur taille, qui sont capables de produire des gigawatts de stockage d’électricité par batterie (Fay, 2023). La construction de ces gigafactories est par conséquent étroitement liée d’une part à la crise climatique, d’autre part aux transformations de l’industrie automobile, en ce début de 21e siècle, comme ce fut le cas au début du 20e siècle. D’autant plus qu’à l’heure actuelle, l’automobile relève encore de technologies matures. Cette industrie est aussi marquée par une relative stagnation des ventes que la mise au point d’une nouvelle technologie, comme le moteur électrique, pourrait relancer (Les échos, 3/08/2021). En 2022, le marché mondial des véhicules électriques était estimé à 208,58 milliards de dollars, d’ici 2030, il devrait atteindre 1103,17 milliards de dollars, soir un taux de croissance annuel de 23,1% [2], soit de très bonnes perspectives de croissance !

Cette évolution vers le tout électrique de l’industrie automobile est a priori tout à fait justifiée, compte tenu de l’importance des émissions de CO2 produites par l’automobile. Le transport serait en effet responsable d’environ un quart des émissions totales de CO2 de l’Union européenne, dont environ 71% du transport routier [3]. Les gigafactories et la décarbonation sont par conséquent étroitement liées. Sans renoncer au confort qu’offre l’automobile, pour réduire les émissions de CO2, la solution résiderait simplement dans un changement de moteur, du moteur thermique au moteur électrique, dont Elon Musk avec Tesla, à l’image d’Henry Ford au début du 20e siècle avec le moteur thermique, serait le nouveau promoteur, le promoteur de l’après-pétrole (McKenzie, 2019).

La décarbonation ou comment réduire les émissions de CO2

La décarbonation peut être sommairement définie comme l’« ensemble des mesures et des techniques permettant de réduire les émissions de dioxyde de carbone » [4]. La France, à l’instar de l’Union européenne, vise la neutralité carbone pour 2050, soit un équilibre entre les émissions de carbone liées aux activités humaines et l’absorption du carbone de l’atmosphère. Pour aller dans ce sens, l’Europe a récemment pris la décision d’interdire la production de moteurs thermiques après 2035 (Le Monde, 11/05/2023), même si cette décision sera probablement difficile à tenir (La tribune, 23/04/2024). L’Etat français vise dans ce contexte l’efficacité énergétique (chauffer des bâtiments, faire fonctionner l’industrie, faire avancer les voitures, etc.), la réduction de la consommation d’énergie, le soutien des énergies renouvelables et sécuriser des puits de carbone (sols, forêts, etc.) [5]. La « fée électricité » (Jarrige, 2022) semble ainsi refaire son apparition pour remettre en cause la suprématie du « dieu pétrole » que les grandes entreprises pétrolières américaines ont imposé dès le début du 20e siècle (Fressoz, 2024). La solution résiderait dans l’électrification non seulement des procédés industriels, mais également des modes de déplacement. La voiture électrique qui avait pourtant été inventée à la fin du 19e siècle (en 1899), la célèbre « jamais contente », par le belge Camille Jénatzy, fut la première automobile à franchir le cap des 100 kilomètres/heure. Dans les années 1830, l’Ecossais Robert Anderson, avait même déjà mis au point les premières carrioles électriques. On était alors dans une période de tâtonnement où de multiples essais en matière de motorisation mécanique avait été envisagée (McKenzie, 2019). Au même moment aux Etats-Unis, Baker Electrics équipe ses automobiles d’une batterie conçue par Thomas Edison. Cependant les batteries d’Edison n’ont pas dépassé le stade de test. Dès le début du 20e siècle le moteur électrique pour l’automobile se révèle incapable de suivre l’évolution accélérée des perfectionnements dont bénéficie le moteur à combustion interne. Henri Ford lance la fameuse « Ford T » en 1908 qui est fabriquée en grande série dans des usines gigantesques (Normand, 2019).

Henry Ford, une gigafactory avant le mot

Au début du 20e siècle, Henry Ford impose à la fois un nouveau produit, le « model T », et met l’automobile à disposition des classes moyennes grâce à une nouvelle forme d’organisation de la production, le « fordisme », en appliquant la chaine de montage inventée dans les abattoirs de Chicago dans l’industrie automobile (Leriche, 2016, Peaucelle, 2003, 2004). Dès 1916, Henry Ford assurait plus du tiers des ventes des véhicules de tourisme aux Etats-Unis, grâce à des entreprises géantes (on ne parlait pas de gigafactory à l’époque) qui employaient plusieurs milliers de travailleurs, à l’image de celle construite sur les bords de River Rouge qui employait en 1930 environ 10 000 travailleurs (Les Echos, 29/05/1998). C’était un immense complexe industriel intégré de 146 hectares et 93 bâtiments qui comptait des propres hauts-fourneaux, son usine de fabrication de verre, ses fonderies de moteurs, sa fabrique intégrée de pneus, de transmissions ou de radiateurs. Elle était alimentée par des bateaux et des trains contrôlés par Ford en provenance de ses propres mines. Le site produisait plus de 6000 tonnes d’acier par jour et assemblait une voiture toutes les 49 secondes (Fainsilber, 2003). C’est le début de la toute puissance de la main visible des managers (Chandler, 1988) qui profita largement des deux guerres mondiales (Bosserelle, 2008) et qui se poursuivit pendant ce que l’on nomma les « trente glorieuses » (Pessis et al., 2013).

Elon Musk, la gigafactory du 21e siècle

Au début du 21e siècle, c’est encore dans l’industrie automobile que des changements importants se produisent à la fois en matière d’innovation du produit, du procédé et d’organisation. Elon Musk fait construire une usine géante dans l’état du Nevada, qu’il a baptisé « gigafactory 1 » [6]. Les mots changent, mais l’esprit du capitalisme reste le même. Le préfixe « giga » accolé à l’usine évoque d’abord l’échelle de production, pour atteindre le milliard, nécessaire à Tesla pour produire un demi-million de voitures électriques par an. Les objectifs de l’entrepreneur sont gigantesques… « A l’origine, le projet était calibré pour une usine de 9,3 millions de mètres carrés produisant une capacité de 35GWh par an en 2020. Puis le constructeur a revu les objectifs à 50 GWh pour 2018 » (McKenzie, 2019, p.175). Pour E. Musk, il ne s’agissait pas seulement de répondre à ses besoins en termes de production de batteries électriques, mais de réduire leur coût de production en éliminant les gaspillages, grâce à la réunion des lignes de production sous un seul toit, pour réaliser des économies d’échelle. F. Taylor et H. Ford n’auraient pas dit mieux !

Cette giga-usine est en 2017 le plus grand bâtiment du monde et la deuxième plus grande usine en surface utile après celle de Boeing dans l’ouest des Etats-Unis, pour un coût estimé à 5 milliards de dollars, pour construire des véhicules électriques et leurs batteries. Elle mesure 53,88 hectares [7] et emploie environ 6500 salariés, d’une capacité de production de 35 GWh par an (lors de son entrée en fonction), soit l’équivalent de la production mondiale de cellule lithium-ion en 2013 [8]. Le nombre de salariés est relativement modeste comparé à la surface de production, surtout si on le compare au site de la River Rouge de Ford dans les années 1930. Mais cette situation s’explique par le recours important aux robots, car c’est « la machine qui fabrique la machine », selon les propres mots d’E. Musk (Les échos, 22/01/2019). L’objectif d’E. Musk est le même que celui d’Henry Ford, réaliser des économies d’échelle pour faire baisser le coût de production. 10 milliards de dollars auraient été ainsi investis depuis 2014 (Forbes, 26/01/2023). Sur ce point, encore, le capitalisme ne change pas !

Un phénomène qui se mondialise rapidement

Elon Musk ne s’arrête pas aux Etats-Unis, d’autres gigafactories sont construites ou en voie de l’être sur la planète en Amérique du sud, en Asie et en Europe. La concurrence asiatique est particulièrement forte. En 2022, l’Asie Pacifique comptait 77% des capacités de production mondiales pour la production de batteries électriques, contre 13 et 10% respectivement pour l’Europe et l’Amérique du Nord. Plus de 75% de la production mondiale est réalisée par 7 entreprises asiatiques, dont les Coréens LG et Samsung, le Chinois BYD (première entreprise chinoise de batteries électriques en 2022. En 2023, elle passe au premier rang mondial, devançant Tesla) [9] et le Japonais Panasonic. En France, la filiale de TotalEnergie, Saft, est dans le top 20. Tesla a construit la première gigafactory « européenne », implantée près de Berlin, soit un investissement de 6 milliards d’euros, dont un million de subvention de l’Union Européenne.

Suivant l’exemple d’E. Musk, comme cela été le cas au début du 20e siècle, les autres constructeurs automobiles lui emboitent le pas. En 2030, il y aura 38 gigafactories (contre 17 en 2023) aux Etats-Unis et au Canada, que les Etats subventionnent largement. En Europe, on devrait passer d’une quinzaine à 39 d’ici 2030 (Fay, 2023).

En France plus précisément, quatre nouvelles gigafactories doivent voir le jour dans ce qui sera la « vallée de la batterie » dans les Hauts de France, avec Automotive Cells Company (ACC) d’une capacité de production de 13 GWh pour un investissement d’environ 800 millions d’euros, porté pour moitié par trois actionnaires ACC, Stellantis, TotalEnergies et Mercedes. Le reste est financé par l’Etat et les collectivités locales. A cette première gigafactory, s’ajouteront Envision AESC, filiale japonaise du groupe chinois Envision (capacité de production de 24 GWh d’ici 2030), Verkor (start-up française d’une capacité de production prévue de 50 GWh en 2030) et la start-up taïwanaise Prologium (d’une capacité de production prévue de 30 GWh en 2030). Mais, derrière ces start-ups se cachent de grandes entreprises. Verkor a des actionnaires prestigieux : l’Institut européen d’innovation et de technologie, Schneider Electric, Capgemini, Renault, pour ne citer que les principaux. En 2023, Verkor a rejoint le Next40, soit le label créé par le gouvernement français pour soutenir 40 jeunes entreprises françaises considérées comme prometteuses et susceptibles de devenir des leaders technologiques. Prologium a parmi ses actionnaires le constructeur automobile Mercedes. Il faut produire. Le gouvernement français a fixé l’objectif de deux millions de véhicules électriques en France d’ici 2030 (Les échos, 30/05/2023).

L’Etat se montre très généreux vis-à-vis des industriels. Par exemple Prologium pour s’implanter à Dunkerque, va recevoir une aide de 1,5 milliard d’euros, pour un investissement total chiffré à 5,2 milliards d’euros [10]. Verkor, pour la même raison, va recevoir 659 millions d’euros [11]. L’enjeu pour les territoires qui accueillent ces entreprises est la création d’emplois et de redynamiser une économie sur le déclin (Boutillier et al., 2024).

Les limites de la gigafactory

La multiplication de ces gigafactories pour construire des batteries et des véhicules électriques est-elle une solution durable aux défis que connait l’économie mondiale dans un contexte difficile de changement climatique d’origine anthropique ? La transition énergétique qui consisterait de passer d’une économie basée sur les énergies fossiles à une économie basée sur l’électricité décarbonée n’est pas aussi simple pour plusieurs raisons d’abord parce que le principe d’une transition énergétique est largement remis en cause par des travaux historiques (Fressoz, 2024), mais aussi parce que la production de batteries électriques nécessite une intensification de l’exploitation minière et par conséquent des émissions de gaz à effet de serre (Goetz, 2024). Mais, en dehors de ces raisons proprement écologique, d’autres raisons doivent être également prises en compte sur les plan social et économique.

Les conditions de travail dans les gigafactories de batteries électriques sont particulièrement difficiles. Des accidents du travail se sont multipliés ces derniers mois. Trois décès inexpliqués de salariés dans la gigafactory de l’entreprise suédoise Northvolt en Suède ont eu lieu pendant l’été 2024. Selon la presse suédoise, cette usine aurait connu 26 accidents graves au cours des cinq dernières années. En Corée du sud, 22 ouvriers ont trouvé la mort en juin 2024 dans l’incendie de l’usine de batteries au lithium Aricell (Garreau, 2024). Dans le cadre du débat public pour l’implantation de Prologium à Dunkerque, la question de la sécurité de l’installation a été posée (CNDP, 2023). Les deux gigafactories dunkerquoises, Verkor et Prologium, ont été classées SEVESO seuil haut. Les risques d’incendie dans ces entreprises sont également très élevés (Les Echos, 24/06/2024).

Par ailleurs, le prix des batteries électriques des batteries a baissé en raison précisément du gigantisme de l’échelle de production et des économies d’échelle ainsi réalisées. Le prix des packs de batterie lithium ion a baissé de 14% en 2023 par rapport à 2022. Il s’agit d’une moyenne mondiale. Selon les pays, la baisse est plus ou moins importante : 9% en Chine, 11% aux Etats-Unis et 20% en Europe. Pourtant, le prix des matières premières est toujours très important dans le prix final d’un véhicule électrique. La batterie représente entre 40 et 60% du coût d’un véhicule. Les matériaux pour la fabriquer comptent pour 80% de son prix (Guichard, 2024). Ces données semblent indiquer une croissance à venir des ventes des voitures électriques en raison de la baisse de leur prix, à l’image de ce qui s’était passé au début du 20e siècle. Selon l’Agence internationale de l’énergie, en 2024, la croissance des ventes mondiales devrait être de 20% en 2024 (La tribune, 23/04/2024). Mais, cette tendance à la hausse va-t-elle perdurer ?

La production de batteries et de véhicules électriques va entrainer une hausse de l’exploitation minière. La transition énergétique est en effet fortement consommatrice en métaux de toutes sortes (lithium, aluminium, cuivre, cobalt, etc.). Le niveau d’extraction des matériaux (biomasse, énergie, minerais métalliques ou non métalliques) contenus dans le sol ou le sous-sol est passé de 27,1 milliards de tonnes en 1970 à plus de 96,1 milliards en 2019. En 2022, elles ont dépassé les 100 milliards. Depuis le début des années 2000, le volume des extractions mondiales a augmenté de 66%, alors que la population mondiale n’augmentait que de 24%. Selon l’Agence Internationale de l’Energie, l’électrification des transports d’ici 2040 engendrerait une multiplication de la demande mondiale en lithium de plus de 40 au niveau mondial, d’environ 20 pour celle du cobalt et du nickel et de plus de 3 pour le cuivre dans des scénarios de décarbonation comptables avec l’accord de Paris de 2015 (Hache, Louvet, 2023).

La décarbonation de l’industrie et les gigafactories de production de batteries et de véhicules électriques ne sont pas deux mots qui très bien ensemble ! Pour alimenter ces entreprises, l’exploitation minière va s’accélérer. Or, le secteur minier est responsable de 28% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Par ailleurs, les rendements en matière d’exploitation minière sont décroissants. Par exemple pour une extraction d’une tonne de minerais, on peut récupérer entre 3 et 20 Kg de cuivre selon les mines, pour le nickel entre 1 et 3 Kg par tonne de minerais. Ce qui suppose une dépense croissante en énergie pour creuser plus profondément, sans parler de la consommation d’eau, également croissante (Hache, Louvet, 2023) !

Un point positif cependant. La décarbonation, via l’électrification des procédés industriels et de la mobilité automobile, grâce à la multiplication des gigafactories, aura probablement un impact négatif sur la demande de pétrole. L’Agence Internationale de l’Energie prévoit que la demande mondiale de pétrole (incluant les biocarburants) se stabilisera à environ 106 millions de barils par jour vers 2030, contre un peu plus de 102 millions de barils par jour en 2023 (La tribune, 12/06/2024). C’est au moins un point positif. Mais, est-ce que cette baisse aura pour effet de redonner au moteur thermique une nouvelle vie ? Les gigafactories de construction de véhicules et de batteries électriques vont-elles se reconvertir dans la production de moteurs thermiques ?

Sophie Boutillier, 23 septembre 2024

Références

Bosserelle E., 2008, Guerres, transformation du capitalisme et croissance économique, L’homme & la Société, 170-171, pp. 219-250.
Boutillier S., 2024, Révolution industrielle, industrie 4.0 et idéologie, Marché & organisations, 51, pp. 13-42.
Boutillier S., Laperche B., Le S. T. K. 2024, Ports industriels en transition. De l’économie circulaire à la décarbonation, L’Harmattan.
Chandler A., 1988, La main visible des managers, Economica.
CNDP, 2023, Projet d’une gigafactory de batteries slides dans le Dunkerquois. Dossier de concertation, Concertation préalable du 22 septembre au 13 novembre 2023.
Fainsilber D., 2003, La mythique usine de Rouge renaît, Les Echos, 16 juin.
Fay S., 2023, Voitures électriques : une frénésie mondiale des gigafactories, Le monde, 29 novembre.
Fressoz J.-B., 2012, L’apocalypse joyeuse, Seuil.
Fressoz J.-B., 2024, Sans transition. Une nouvelle histoire de l’énergie, Seuil.
Garreau M., 2024, Après des morts inexpliquées chez Northvolt, la filière batterie française face aux risques professionnels, L’Usine nouvelle, 10 juillet.
Goetz E., 2024, Pourquoi les conflits miniers se multiplient, Les Echos, 17 janvier.
Guichard G., 2024, Voiture électrique : baisse des prix des batteries donne de l’air aux constructeurs, Les Echos, 9 avril.
Hache E., Louvet B., 2023, Métaux. Le nouvel or noir. Demain la pénurie ?, Editions du Rocher.
Jarrige F., 2022, On arrête (parfois) le progrès, L’échappée.
Leriche F., 2016, Les Etats-Unis. Géographie. D’une grande puissance, Armand Colin.
McKenzie H., 2019, La révolution Tesla. Comment Elon Musk nous fait basculer dans le monde de l’après-pétrole, Editions Eyrollles.
Norman J.-M., 2019, L’éclatante Jamais Contente, Le monde, 3 septembre.
Peaucelle J.-L., 2003, Du dépeçage à l’assemblage, l’invention du travail à la chaîne à Chicago et à Détroit, Gérer et Comprendre, 73, pp. 75-88.
Pessis C. Sezin T., Bonneuil C., 2013, Une autre histoire des Trente Glorieuses, La découverte.
Peaucelle J.-L., 2004, Les abattoirs de Chicago à la fin du 19e siècle, Revue Française de Gestion Industrielle, 23-1, p. 25-36.
Schumpeter J., 1911, Théorie de l’évolution économique, Payot, édition de 1979.

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