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L’impact du « Dieselgate »

mercredi 26 avril 2017 Valentin MANDELKOW

L´affaire Volkswagen a mis à mal l´étiquette « Made in Germany ». Une manipulation technique, qui aura finalement coûté 22 milliards d´euros au constructeur allemand (estimations datant d´avril 2017). Surtout elle a d´abord jeté une ombre sur l´honnêteté de l´industrie et la fiabilité de ses produits ainsi que le respect des standards environnementaux dans un pays qui se targue d´être un des leaders en matière de développement durable. Cette manipulation a ensuite suscité un soupçon généralisé à l´égard du secteur automobile à mesure que d´autres constructeurs ont été mis en cause.
Les interprétations vont bon train et continuent à évoluer tandis que l´enquête, notamment en Allemagne, suit son cours. Deux lignes de force se dégagent de ce débat parfois houleux :

 Il s´agirait en vérité d´une forme de guerre économique entre l´Allemagne et les Etats-Unis. Appliquer des normes plus sévères ne serait qu´un moyen de nuire au partenaire commercial à qui on adresse le reproche d´avoir trop de succès et de ralentir les ventes de ses propres marques. Aussi l´amende fixée à l´encontre de Volkswagen serait beaucoup plus élevée que celle qui a touché les marques américaines dans des cas similaires.

 Volkswagen, champion national de l´automobile, aurait profité de la complicité des autorités allemandes pour manipuler les données au vu et au su de tout le monde. Contrairement à ce que le dogme ordo-libéral de l´Allemagne veut bien faire croire, l´Etat est bel et bien capable de jouer son rôle de stratège dans un contexte de compétition internationale accrue.

Une troisième argumentation consiste à dire que Volkswagen aurait profité de la complicité de certains acteurs politiques : la chancelière Angela Merkel elle-même, le ministre fédéral des transports Alexander Dobrindt, le ministre-président de Basse-Saxe, propriétaire à 20 % de la marque, Stephan Weil. Mais tant que les commissions d´enquête parlementaires à Berlin et à Hanovre (Basse-Saxe) n´ont pas terminé leur travail, il est très difficile de se prononcer, à moins de verser dans un procès d´intentions ou une accusation sommaire des élites politiques.

Qui plus est, beaucoup de commentaires font l´économie des faits et des normes et assimilent le terme même de « manipulation » à un comportement illicite. Il s´agit en réalité de comprendre que dans la stratégie de Volkswagen, l´écart entre les faits et les normes, à l´origine du scandale, découle assez logiquement d´un dispositif juridique et normatif en vigueur en Europe qui accorde une certaine marge d´interprétation aux constructeurs.

La configuration idéale des tests

Pour mesurer et homologuer les taux d´émissions de monoxyde d´azote, les constructeurs européens disposent d´une procédure standardisée appelée NEFZ. Celle-ci avait été actée par la Commission européenne dans les années 80 à un moment où les voitures n´étaient pas encore, comme c´est le cas aujourd´hui, des ordinateurs sur roues. Cette procédure prévoit un test d´une durée de vingt minutes incluant des phases d´accélération jusqu´à 120 km/h, des phases de ralentissement et de vitesse constante ; or, la vitesse moyenne pendant ces tests ne s´élève qu´à 33,6 km/h. Loin d´être conformes à l´utilisation de la voiture dans des conditions réelles, les constructeurs ont par ailleurs la possibilité de soumettre des voitures aux tests qui ont été optimisées à l´occasion (huiles de moteurs spéciales, pneus réduisant le frottement et qui ne sont jamais fournis à la vente, des prototypes allégés…). Par ailleurs, les tests sont configurés de manière à ce que les températures ne dépassent pas les 30 degrés au-delà desquels le taux d´émissions augmente sensiblement.

Même si ce genre de test dans des conditions idéales a toujours soulevé des critiques de la part des écologistes, on a pu observer une certaine adéquation entre les résultats des tests officiels et les taux d´émissions en conditions réelles, ceux-ci dépassant évidemment les premiers. Mais ces tests garantissaient malgré tout une forme de lisibilité. En d´autres termes : personne ne s´intéressait aux écarts observés.

Cette situation a radicalement changé à partir du moment où l´opinion publique a commencé à parler des taux d´émissions, des seuils à respecter et surtout à partir du moment, où les gouvernements nationaux ont introduit une fiscalité écologique dans le secteur automobile. Dès lors, le taux d´émission avait un prix à la fois financier et moral. Dans le même temps, les constructeurs ont massivement investi dans la numérisation de la voiture afin de contrôler les moteurs… et les taux d´émissions lors des tests.

L’ « International Council on Clean Transportation » (ICCT) a constaté que l´écart entre le taux idéal et le taux réel s´élevait à 8 % en 2001 alors qu´il a augmenté à 38 % en 2013 ! Le numérique aidant, les constructeurs ont réussi à soumettre au test idéal des voitures qui répondaient donc à des normes de plus en plus strictes sans pour autant modifier les taux d´émissions en conditions réelles. Or c´est cet écart avoisinant les 40 % qui a alerté l´ « Environmental Protection Agency » (EPA) observé chez des voitures du constructeur Volkswagen qui a déclenché le scandale aux Etats-Unis.

Initialement, il n´y a donc pas eu de bataille des normes entre l´Europe et les Etats-Unis, en particulier la Californie, mais une différence entre les procédures normatives. Alors que l´Europe continuait à valider le NEFZ des années 80, les Etats-Unis, par le biais des mesures effectuées par l´EPA, tenaient compte de l´écart entre le taux idéal et le taux réel.

Un petit bidule nommé OBD et le rôle stratégique des instances de contrôle en Europe

A partir d´ici, deux questions s´imposent : premièrement, comment un tel écart (38 à 40 %) est-il possible ? Deuxièmement, comment expliquer que de tels écarts soient acceptés en Europe alors que des institutions indépendantes telles que « Transport & Environment » (T&E) avaient mis en garde dès 2005 contre de telles dérives ?
La réponse à la première question est assez simple. Dès lors que les constructeurs sont passés à une numérisation massive de l´équipement tout en sachant que des normes environnementales de plus en plus strictes étaient à remplir, ils ont eu recours à des techniques informatiques tenant compte de la configuration idéale des tests (qui datent des années 80). Des circuits imprimés sont capables de repérer ces conditions idéales et de modifier le comportement du véhicule pour remplir les normes du NEFZ. Si bien qu´une voiture ne se comporte pas de la même manière selon qu´elle est testée conformément aux normes du NEFZ ou qu´elle roule dans des conditions réelles.

Le circuit imprimé le plus utilisé à cette fin est le « Onboard Diagnostics » (OBD) développé par l´équipementier Bosch et présent dans la presque totalité des voitures vendues dans le monde. La particularité du OBD installé dans les modèles Volkswagen incriminés, modifié par le constructeur allemand, était l´ampleur de l´écart entre taux idéal et taux réel produit. Ainsi, l´OBD utilisé par Volkswagen était capable de réagir à l´ouverture du capot (effectuée lors du test) par une réduction de la performance du moteur, réduisant ainsi l´émission de dioxyde d´azote.
L´office de protection de l´environnement du land de Baden-Württemberg voulait savoir ce qui se passe lorsque l´OBD n´est pas utilisé pendant un test se rapprochant davantage des conditions réelles de circulation. Le résultat est plutôt clair : alors que le taux d´émission de dioxyde d´azote s´élève à 2.000 mg, le taux avec utilisation de l´OBD se limite à 80 mg (pour un diesel conforme à la norme Euro 6 : 507 mg sans OBD contre 80 mg avec).

Résumons : l´utilisation de l´OBD et la configuration idéale du test NEFZ conduisent à de tels écarts entre le taux réel et le taux idéal. Et, qui plus est, les tests sont parfaitement conformes aux normes en vigueur en Europe. Le seul défaut des Américains est de ne pas avoir accepté de tels écarts.

Réagissant au scandale Volkswagen, l´UE remplacera le test NEFZ par le RDE, « Real Driving Emissions », en septembre 2017, un test qui mesure le taux d´émissions dans des conditions réelles.

La deuxième question s´avère être cruciale dans la mesure où la différence entre les faits et les normes est flagrante et connue de tout le monde. Pour esquisser une réponse, le spécialiste allemand des mesures de taux d´émissions Peter Mock en arrive à la conclusion que les pays-membres de l´UE obtiennent un avantage compétitif tant qu´ils n´agissent pas [1]. Mock va jusqu´à parler d´inaction stratégique en comparant les mesures prises pour aligner les taux réels ou idéaux pour les camions diesel et l´absence de ces mesures pour les voitures individuelles. C´est-à-dire que l´Europe aurait pu régler ce problème, mais ne l´a pas fait. Pour mieux comprendre la situation, signalons d´abord le fait que l´Europe elle-même ne dispose d´aucune institution de contrôle, cette tâche étant déléguée aux pays-membres. Dans le même temps, un constructeur européen est libre d´homologuer les taux d´émissions de sa voiture dans le pays-membre de son choix. Ainsi, la plupart des voitures allemandes soumettent leurs modèles nouveaux à des contrôles au Luxembourg.

Pour ce qui concerne les institutions de contrôle allemandes, le TÜV et la DEKRA, elles sont financées par les constructeurs allemands et en grande partie équipées par l´entreprise Bosch. Celle-ci tire profit de son double statut de SARL et de Fondation, la Fondation étant propriétaire à 92 % de la SARL.

Or, les gouvernements des Länder, pouvoirs tutélaires des institutions de contrôle, ont le droit de faire appel à l´aide et l´expertise technique d´une Fondation sans être soupçonnés de conflits d´intérêt.

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Mots-clés

Allemagne
guerre économique

Notes

[1DIE ZEIT, 8 août 2016

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