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LES GIGAFACTORIES, BIG IS BEAUTIFUL ? GIGAFACTORY ET DÉCARBONATION, DEUX MOTS QUI VONT TRÉS BIEN ENSEMBLE ? Sophie BOUTILLIER

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GUERRE ÉCONOMIQUE : NOUS DEVONS CHANGER DE GRILLE DE LECTURE ! Nicolas MOINET

COWORKING ET GIGAFACTORIES, VERS UNE NOUVELLE UTOPIE ? Sophie BOUTILLIER et Eve ROSS

LES MINES AU SERVICE D’UNE SOUVERAINETÉ DECARBONÉE. Par Didier JULIENNE

RÉINDUSTRIALISER LA FRANCE : UN PARI IMPOSSIBLE ? Par Laurent IZARD

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BANQUES ET MARCHÉS, UN ENJEU GÉOPOLITIQUE MAJEUR. Par Alain LEMASSON

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LE CAPITALISME DE PLATEFORME ET LA PRECARISATION DE L’EMPLOI, UNE REALITE REINVENTEE ? Par Sophie BOUTILLIER

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UNE SYNERGIE D’ACTIVITES ? Engie, EDF et Areva

REINDUSTRIALISER LA FRANCE : UN PARI IMPOSSIBLE ? LA STRATEGIE.

Partie 2 - Recréer un tissu industriel en améliorant la compétitivité de nos firmes et leur environnement économique et juridique

mardi 26 octobre 2021 Laurent IZARD

Laurent Izard nous propose d’entrer dans l’analyse des difficultés industrielles majeures de la France contemporaine en deux temps. Le premier article était d’abord un constat documenté. Il est suivi dans cette deuxième partie de propositions stratégiques face à ce qu’il faut bien appeler « un déclin ». Il faut retrouver un volontarisme fort pour reconstruire une souveraineté économique industrielle, en abandonnant les faux semblants de la concurrence, comme jeu à somme positive. Le droit extraterritorial américain constitue une illustration forte de l’inégalité de la position des acteurs. La guerre économique est une réalité. Niveau de concurrence, réforme de la finance, développement du périmètre stratégique etc..., sont questionnés pour élaborer une véritable politique industrielle à travers un grand Ministère de l’industrie.

RÉINDUSTRIALISER LA FRANCE : UN PARI IMPOSSIBLE ?

« La France a perdu pratiquement la moitié de ses emplois industriels depuis le début des années 1980 »

DEUXIÈME PARTIE - La stratégie ou comment recréer un tissu industriel en améliorant la compétitivité de nos firmes et leur environnement économique et juridique

1. Créer un environnement économique favorable à nos entreprises industrielles

Il s’agit avant tout de repenser notre perception de la mondialisation à la lumière des crises les plus récentes. Celles-ci ont mis en évidence l’interdépendance excessive des économies nationales et l’absence de cloisonnement face à des chocs financiers, sanitaires ou énergétiques contribuant ainsi à étendre leur impact. D’autre part, la mondialisation génère ou entretient des déséquilibres structurels (balance commerciale, marché du travail, désordres écologiques…) de moins en moins soutenables. Elle a donné un rôle excessif à la finance internationale dont les pratiques sont pour le moins discutables… Elle a également entraîné une intensification de la concurrence, de plus en plus aiguë et instable, qui joue à la fois sur les prix et sur les facteurs dits « hors-coûts » (qualité, réactivité, innovation, etc.), ce qui accroît l’insécurité économique et la précarité de nombreux salariés tout en dégradant leurs conditions de travail.
Mais surtout, la mondialisation a placé en situation de compétition nos entreprises avec des firmes étrangères qui ne subissent pas les mêmes contraintes salariales, fiscales, sociales ou environnementales. C’est absurde. Il faut oublier Ricardo et concevoir un nouveau modèle de mondialisation, fondé sur des partenariats équilibrés et capables de protéger nos entreprises comme nos salariés tout en garantissant notre souveraineté économique. En attendant, il est clair que nos entreprises, et particulièrement nos ETI souffrent d’un déficit de compétitivité qui peut se révéler mortifère. Il est donc nécessaire de les protéger et d’envisager un protectionnisme ciblé pour permettre en particulier le développement de nos entreprises industrielles. Cette politique s’apparente à une thèse bien connue en économie internationale : la doctrine des « industries naissantes », ébauchée à la fin du XVIIIe siècle par Alexander Hamilton aux États-Unis, puis dans les années 1840 par Friedrich List en Allemagne. Cette thèse repose sur l’idée selon laquelle le protectionnisme ou une politique de soutien public permet à un pays de créer un avantage comparatif, qui le rend capable ensuite de s’insérer dans le commerce international. En protégeant ou subventionnant l’industrie domestique, le pays renonce à des importations pourtant meilleur marché au profit d’une production domestique au départ plus coûteuse ; il accepte que le prix payé par les consommateurs soit temporairement plus élevé. Par ailleurs, la protection ou la subvention permet d’accroître la production domestique, donc le surplus des producteurs. L’Histoire économique nous enseigne que la France, lorsqu’elle vivait sous un régime d’économie protégée [1] a obtenu de bons résultats économiques et connu de fortes périodes de croissance malgré les handicaps concurrentiels dont elle souffrait. Il ne s’agit en aucun cas d’organiser un fonctionnement autarcique de notre économie ou de mettre en œuvre une protection généralisée de nos entreprises génératrice d’effets pervers, mais de soutenir leur développement dans des secteurs d’avenir, pour lesquels elles sont encore en position de fragilité. D’autres pays (États-Unis, Allemagne) ont, en leur temps, mis en œuvre cette stratégie avec le bonheur que l’on connait. Un protectionnisme temporaire et ciblé, via des taxes à l’importation ou la création de standards environnementaux pour certains produits manufacturés importés permettrait par ailleurs de lutter contre le dumping social ou fiscal pratiqué par de nombreux pays, tout en répondant aux impératifs écologiques.

Autre élément important, notre économie se caractérise par une situation paradoxale où le chômage est structurellement élevé et où les difficultés de recrutement, faute de candidats aux compétences adaptées, constituent un frein à la croissance des PME. Les rapports de l’OCDE sur les compétences des élèves et des adultes (enquêtes PISA et PIAAC) pointent régulièrement les maigres performances françaises en matière de formation. Il serait dès lors judicieux d’augmenter sensiblement les moyens consacrés à la qualification professionnelle des jeunes. À plus long terme, le système scolaire pourrait évoluer vers un modèle « à l’allemande », qui donnerait plus de poids aux cursus professionnalisant et qui rapprocherait les formations des attentes des entreprises.

Enfin, nos entreprises industrielles doivent pouvoir s’affranchir d’une fiscalité paralysante, ce qui suppose un allègement fiscal de grande ampleur. Les cotisations sociales et les impôts ont déjà fait l’objet de plusieurs baisses : crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en 2013 (transformé depuis en baisse de charges), Pacte de responsabilité et de solidarité en 2014, baisse progressive du taux d’impôt sur les sociétés depuis 2017, baisse des impôts de production dans le cadre du Plan de relance de 2020. L’ensemble de ces mesures ont pu aider l’industrie française, mais ne semblent pas être suffisantes pour stimuler vigoureusement la production nationale. Une réforme fiscale de grande ampleur parait effectivement inévitable. L’objectif est simple : Les impôts de production doivent être progressivement supprimés [2] et les charges sociales qui pèsent sur les employeurs considérablement réduites.

À court terme, les pistes suivantes pourraient être étudiées :

  • supprimer la Cotisation sur la Valeur Ajoutée des Entreprises (CVAE) ;
  • Alléger durablement les charges sociales patronales (au-delà du plafond de 2,5 SMIC comme c’est le cas actuellement) ;
  • Poursuivre la diminution de l’impôt sur les sociétés. Dans l’immédiat, maintenir le dispositif à taux réduit à 15 % de l’impôt sur les sociétés pour les TPE-PME et créer un taux intermédiaire à 24 % (au lieu de 33 %) pour les PME.
  • Fluidifier la transmission familiale d’entreprises en accordant l’exonération totale des plus-values de cession des actions et parts sociales des PME-PMI au bout de sept ans.
  • Faire de l’adoption du projet européen d’Assiette commune consolidée d’impôt sur les sociétés (ACCIS) une priorité de la présidence française du Conseil de l’UE.

Il faut donc, comme l’écrit Loïk Le Floch-Prigent [3], revenir aux réalités et offrir à nos entreprises industrielles un environnement favorable en intégrant les différents paramètres : normes et règlements, fonds propres, compétitivité, et donc alignement des impôts et taxes, règles sociales et environnementales. Le plan de relance actuel ne prévoit rien, ou presque dans ce sens, toutes les autres mesures prises en particulier, droit du travail et droit de l’environnement vont en sens inverse, et pénalisent notre industrie déjà en difficulté.
Pourquoi ne pas charger le CESE d’une mission de recensement des multiples règles juridiques administratives, sociales et fiscales inutiles qui pénalisent notre économie et particulièrement nos entreprises ? Puis supprimer progressivement toutes les règles contraignantes ainsi identifiées et en particulier les normes obligatoires parfois inutiles qui paralysent nos entreprises et créent des déficits de compétitivité ?
Mais pour commencer, il serait bienvenu d’alléger la complexité administrative et fiscale pesant sur les TPE-PME avec la création d’un véritable guichet unique dédié (social, fiscal et administratif).

2. Affirmer notre souveraineté économique industrielle

La réindustrialisation de notre pays ne peut s’envisager sans souveraineté économique, ce qui suppose de bénéficier d’une réelle souveraineté politique. Or, au delà de notre engagement européen et des contraintes multiples qu’il génère, notre pays s’est aventuré dans une série de traités qui restreignent cette souveraineté [4].
Il convient également d’évoquer brièvement le pillage de nos technologies et savoir-faire industriels. Ce pillage, le mot n’est pas trop fort, résulte principalement de l’espionnage industriel pratiqué par certaines grandes puissances. C’est d’ailleurs le terme qu’a utilisé Bruno Le Maire en Janvier 2018 : « Ouverture ne veut pas dire pillage de nos technologies, de nos compétences, de nos savoir-faire », a martelé notre ministre en visite à Pékin. [5]
En 2015, Wikileaks a révélé un système d’espionnage industriel américain à grande échelle contre la France, organisé par la National Security Agency (NSA). Wikileaks démontre notamment que l’élite politique et économique française a fait l’objet d’un espionnage systématique de la part des États-Unis. Toutes les négociations et tous les contrats des sociétés françaises estimés à plus de 200 millions de dollars étaient interceptés. Il va de soit que les USA n’ont pas le monopole de l’espionnage industriel : il parait nécessaire de nous doter des moyens permettant de protéger nos innovations technologiques.

Nos « amis » américains investissent également de nouveaux champs de bataille : ainsi, selon le rapport Gauvain [6], les États-Unis utilisent tout leur arsenal judiciaire – y compris pénal – à des fins économiques, pour favoriser leurs entreprises [7]. Cet arsenal permet de bloquer l’implantation aux USA d’une société concurrente, de gagner des marchés stratégiques, d’acquérir des firmes étrangères et d’interdire aux entreprises françaises de commercer avec des pays en conflit avec les USA. Le constructeur automobile PSA, qui avait investi 350 millions d’euros en Iran, a ainsi été obligé de tirer un trait sur environ 450.000 voitures immatriculées par an, soit quasiment 15 % de ses volumes mondiaux… [8]
Autre exemple, le spécialiste de la défense et de l’aéronautique Michel Cabirol alerte sur le refus des banques françaises de financer les entreprises du secteur de la défense par peur de sanctions juridiques de la part des USA. Il écrit en octobre 2020 : « Sous la pression d’éventuelles sanctions américaines et des ONG, les banques françaises, dont BNP Paribas et Société Générale, appliquent désormais des règles de conformité (compliance) excessives pour les entreprises de défense considérées comme des entreprises à risque pour un financement. Cette tendance est en train d’étrangler progressivement une industrie de souveraineté [9]. »

Le droit est donc devenu un outil d’encadrement du commerce et une arme de guerre économique, comme le montre le fort pourcentage (62 % !) d’entreprises européennes parmi les entreprises condamnées, la France constituant la première cible de ce racket légal [10].
Car les entreprises ou banques qui refusent de se soumettre sont condamnées à de lourdes amendes [11] et leurs dirigeants risquent de connaitre les joies des geôles américaines [12]. Pourtant, ces entreprises n’ont violé ni les règles internationales ni leurs lois nationales, mais seulement la législation des États-Unis…
Fort heureusement, on constate une prise de conscience progressive (mais bien tardive…) de nos élites face aux effets pervers de l’extraterritorialité du droit américain, comme on a pris conscience de l’hégémonie culturelle américaine quelques années plus tôt. Se libérer de ce carcan juridique constitue un objectif prioritaire.
Plus généralement, la guerre économique qui nous est imposée freine la création d’un tissu d’entreprises de taille intermédiaire qui fait cruellement défaut à notre économie Mais surtout, cette guerre économique menée par quelques pays nous prive des bienfaits d’une relation commerciale vertueuse et apaisée avec le reste du monde. En bout de chaîne, l’industrie française et ses salariés en sont les victimes.
Arrêtons de nous voiler la face et de faire comme si la guerre économique n’existait pas. Cela ne veut pas dire que nous devons renoncer aux échanges commerciaux ou refuser toute négociation avec nos partenaires commerciaux, bien au contraire, mais cela implique de sortir de cet état d’esprit munichois qui conduit à accepter l’inacceptable, à multiplier les concessions et à nous soumettre au diktat de puissances extérieures. Il convient d’arrêter d’être naïfs et de riposter avec énergie à toute agression économique avérée, quitte à en payer un prix diplomatique et économique [13]. Et dans l’immédiat, il nous parait nécessaire de créer une cellule « guerre économique », en lien ou non avec la DGSE, chargée de prévenir et déceler les agressions économiques, les tentatives de corruption, d’espionnage, de lobbying, de déstabilisation, de ransomware, etc… et de lutter contre toute pratique déloyale et/ou hégémonique visant nos entreprises.

Ce changement de perspective implique une évolution de notre droit [14], – notamment pour contrôler les investissements étrangers en France à l’instar du CFIUS américain – et de nos pratiques politiques. Cela nécessitera de revoir notre relation à l’Union Européenne. Le contexte est d’autant plus favorable que les dirigeants de l’UE semblent maintenant mieux percevoir les menaces qui pèsent sur notre vieux continent et évoquent de plus en plus fréquemment le concept de « souveraineté européenne [15] ». En 2020, la Commission a publié des orientations pour préserver les entreprises et les actifs « critiques », dans le contexte de la crise sanitaire, tout en invitant les pays dotés d’une réglementation en ce sens à l’utiliser pleinement et les autres à en adopter une … [16]
Pour mémoire, dans notre pays, les investissements étrangers sont ainsi soumis à une procédure d’autorisation préalable auprès du ministre en charge de l’économie et des finances dès lors qu’ils concernent des secteurs stratégiques ou considérés comme sensibles au regard de la défense des intérêts nationaux [17].
Il faut aller plus loin et renforcer ce dispositif juridique de protection de nos entreprises, ce qui pourrait conduire à :

  • élargir la liste des entreprises stratégiques en incluant l’intérêt économique de l’entreprise (emploi, etc…).
  • abaisser à 5% le seuil de contrôle de l’investissement étranger dans le cadre de la procédure IEF.
  • abaisser le seuil à 10% (25% actuellement) dans l’hypothèse où l’entité objet de l’investissement est une société non cotée.
  • insérer systématiquement dans la relation contractuelle avec l’État des clauses pénales en cas de non respect par l’investisseur des engagements réalisés avec possibilité de saisie des actifs de l’entreprise concernée.
  • interdire, en cas de subventions publiques qu’une société soit cédée à une société étrangère pendant dix ans, sauf pour l’acquéreur à rembourser les subventions reçues.
    Enfin, quand un actionnaire franchit un certain niveau dans le capital d’une entreprise cotée (5 % aujourd’hui), il doit faire une déclaration pour indiquer sa présence. Ce seuil devrait être abaissé à 1,5 % pour que les dirigeants et le conseil d’administration prennent très tôt la mesure du danger qui les guette avec l’arrivée de fonds activistes.

3. Identifier un périmètre d’entreprises stratégiques et/ou présentant un intérêt économique majeur afin d’améliorer notre compétitivité industrielle et technologique

L’évaluation des besoins économiques et sociaux prioritaires (alimentation, santé, bien-être, environnement, numérique, mobilité, culture, éducation…) est le préalable nécessaire à l’identification des filières concourant à notre souveraineté économique. Cette évaluation doit se faire dans le cadre d’une analyse globale de notre système productif (services non marchands, industrie et services associés, économie de proximité) et intégrer la dimension de l’emploi, composante majeure de l’intérêt stratégique d’une entreprise. Les filières d’avenir (technologie, biotech, medtech, intelligence artificielle…) doivent être privilégies.

Il est possible de s’appuyer sur le rapport Potier [18] qui a identifié 22 marchés émergents, dont 10 prioritaires, sur lesquels la France a le potentiel pour jouer un rôle de leader à l’échelle mondiale et appelant une concentration des moyens. Ces marchés ont pour caractéristiques communes : - de répondre à ces enjeux sociétaux et de comporter une forte dominante technologique ; - d’être en phase de structuration à l’échelle nationale et européenne sur des domaines en croissance où la France dispose d’avantages compétitifs ; - de faire face à des barrières à l’entrée importantes (capitalistiques, réglementaires, technologiques, de compétences) ; - de présenter, pour certains, une criticité des enjeux en matière de souveraineté.
L’intervention des pouvoirs publics se justifie dans l’ensemble de ces marchés à travers des « stratégies d’accélération » qui devront être conçues dans une approche systémique : de l’amont à l’aval, en agissant sur l’ensemble des leviers pertinents, qu’il s’agisse du soutien à la R&D, de maturation des technologies, de déploiement, ou encore de capital-humain, d’attractivité et de promotion à l’international. Il est possible d’envisager des stratégies combinées, nationales et européennes lorsque cela est nécessaire. Toujours selon le rapport Potier, aux 10 marchés prioritaires s’ajoutent 12 autres marchés présentant des enjeux sociétaux et technologiques nécessitant la poursuite des actions de soutien public, voire ultérieurement l’élaboration de stratégies d’accélération.

Mais attention : il ne s’agit pas de créer des entreprises ex nihilo par la seule volonté de l’État : les grands succès industriels français du passé (le paquebot France, le Concorde, le TGV , le téléphone, l’informatique, l’espace, le nucléaire…) ont nécessité un concours important de l’État, mais ces succès reposent avant tout sur l’initiative d’entrepreneurs, de chercheurs ou d’ingénieurs qui investi leur temps et leur argent pour défendre et développer leurs projets souvent novateurs et risqués. Ainsi, notre avion de combat a été largement soutenu à cause de la confiance générale en Marcel Dassault et l’équipe qui l’entourait. De même, sans Pierre Marzin et Gérard Théry la révolution des télécommunications n’aurait pas existé, sans Pierre Guillaumat et Robert Dautray, pas de développement de l’énergie nucléaire, etc… Il ne s’agit donc pas de soutenir aveuglément des projets sur des secteurs porteurs ou novateurs mais de soutenir des entrepreneurs ambitieux et déterminés, développant des initiatives réalistes et porteuses d’avenir.
Si la modernisation de notre appareil industriel doit être favorisée, (recherche et développement, numérique, robotisation, automatisation, objets connectés…), il convient d’éviter la censure d’une bureaucratie tatillonne décidant systématiquement quels projets méritent d’être encouragés au détriment des autres. Il convient également d’identifier nos faiblesses les plus criantes (semi-conducteurs, matériaux, nouvelles technologies, télécommunications, santé...) afin d’y porter remède et d’éviter les dangers potentiels de monopoles ou de dépendance économique [19].

4. Encourager et accompagner nos entreprises industrielles nationales tout en améliorant les systèmes de financement

L’État n’a pas vocation à être massivement et durablement actionnaire de nombreuses entreprises. Il ne peut d’autre part les soutenir financièrement sur le long terme, même en privilégiant celles présentant un intérêt stratégique. L’État dispose cependant d’autres moyens pour les protéger [20]. Et il doit apporter des solutions pour contrer l’activisme des investisseurs et/ou influenceurs étrangers. L’exemple récent des fonds activistes minoritaires qui ont pris le contrôle de la stratégie de Danone (et contraint au départ son dirigeant) doit alerter sur la nécessité d’une intervention ciblée de l’État actionnaire, lorsque cela est nécessaire.
Pour répondre aux besoins de financement de nos entreprises industrielles, une piste de solution consisterait à mieux drainer l’épargne de nos compatriotes vers ces entreprises, ce qui pourrait passer par la création de fonds de pension à la française. Mais l’on sait qu’une telle initiative ne pourrait porter de fruits avant de nombreuses années. Dans l’attente, pourquoi ne pas envisager la création d’un vrai fonds souverain français, sous la tutelle de la Caisse des Dépôts et Consignations, alimenté par les placements en assurance-vie, complétés par un grand emprunt national « souveraineté économique » ? Ce fonds aurait la double mission de protéger les entreprises des fonds vautour ou des OPA hostiles et de prendre des participations dans des secteurs porteurs. Il serait également possible de créer dans chaque région un fonds souverain régional (à l’instar de celui créé en région Rhône-Alpes), alimenté par la région mais également par la Banque Publique d’Investissement (BPI France), des banques locales ainsi que des « family offices », ces offices qui gèrent des fortunes familiales. Il conviendrait d’autre part de valoriser l’innovation en recentrant le Crédit Impôt Recherche vers les PME innovantes et en dirigeant une part de l’assurance-vie vers le capital-risque et les startups innovantes.
Une réforme bancaire parait ainsi nécessaire afin d’encourager nos banques à mieux accompagner nos entreprises, à l’instar du système allemand : un accompagnement dans la durée, sécurisé et pérenne, tout en restant rationnel. Les banques seraient incitées à financer les PME/ETI sur une période longue grâce à des prêts garantis par l’État.

La plupart des pays occidentaux mettent sur pied des plans de relance pour l’ « après covid ». Le plan « France Relance » va mobiliser au total près de 35 milliards d’euros en faveur de l’industrie sur la période 2020-2022, autour de quatre axes : décarboner l’industrie ; relocaliser des activités stratégiques critiques ; moderniser l’appareil productif ; innover, en soutenant les investissements de recherche et développement mais aussi en préservant et en développant les compétences.
En dépit des montants, le plan français interroge quant à sa capacité à soutenir réellement l’industrie. Comme le reconnait le CESE [21], Ces fonds dépensés à un horizon de 30 mois ne devraient avoir qu’un faible impact sur la conjoncture et l’emploi, d’autant plus que de nombreuses entreprises pourraient avoir disparu d’ici là. Par ailleurs, ce plan n’aborde pas la reconstruction de plusieurs filières essentielles, en France comme en Europe, pour asseoir notre indépendance. Bien que l’État prône la relocalisation industrielle, elle ne sera dotée que d’un milliard d’euros. Les sommes affichées sur des filières stratégiques comme l’énergie ou le traitement de l’information sont faibles. Il convient donc d’aller au-delà et de donner une vision stratégique de long terme à notre plan de relance.
Enfin, outre le soutien financier direct, il est nécessaire que les Pouvoirs publics impulsent une dynamique de la demande. Les administrations publiques ont ici un rôle essentiel à jouer : celui de donner une impulsion au marché, en privilégiant les entreprises françaises (ou le cas échant européennes) dans leur politique d’acquisitions et de marchés publics. On peut s’interroger à cet égard sur la cohérence de la politique menée par la France qui, en parallèle avec le lancement de Gaia-X, a évincé le français OVH au profit du cloud Azure de Microsoft pour le fonctionnement de l’application de surveillance de l’épidémie de Covid-19 et le stockage des données de santé, tandis que BPI France a sollicité les services de AWS pour gérer les prêts garantis par l’État…
Nous suggérons d’instaurer un principe de préférence nationale systématique dans les règles de la commande publique en renonçant à l’application des directives de 2014 de l’Union européenne. Pour ce faire, il convient d’élaborer une loi par laquelle, au-delà d’un certain seuil (par exemple 10 000 euros), les personnes publiques seraient tenues de ne consulter que des entreprises françaises, sauf dans des cas particuliers (départements frontaliers où le recours aux PME étrangères est très fréquent ou marchés sur lesquels des acteurs français n’existent tout simplement pas). Dans l’hypothèse où une situation de monopole conduirait un fournisseur à pratiquer des prix trop élevés, le recours à un prestataire étranger serait autorisé. Cette remise en question des règles de la commande publique européenne nécessiterait une réécriture de l’article 55 de la Constitution par laquelle le droit européen ne serait supérieur qu’aux lois votées antérieurement (et non aux nouvelles lois).

5. Relocaliser ou localiser de façon sélective

Autre chantier sensible, la relocalisation de notre industrie [22].
Le succès d’une telle stratégie dépend surtout de sa viabilité économique, qui ne peut s’envisager sans une réflexion d’ensemble sur notre compétitivité coût et hors coût.
Comment relocaliser ?
Une politique impliquant une forme de « relocalisation forcée », (en imposant des droits de douane prohibitifs sur les importations en provenance de pays dans lesquels les entreprises ont délocalisé leurs usines d’assemblage) est vouée à l’échec.
Une deuxième politique publique consisterait à utiliser des incitations fiscales non ciblées pour faire revenir les entreprises sur le territoire français. Une telle politique a déjà été mobilisée en France au moins à trois reprises :
– en 2005, avec le crédit impôt relocalisation « Breton » (en référence à Thierry Breton) ;
– en 2010, dans le cadre des États généraux de l’industrie, avec une prime à la relocalisation d’un montant total de 200 millions d’euros ;
– en 2013, avec Arnaud Montebourg qui avait lancé le logiciel Colbert 2.0 permettant aux entreprises de faire un diagnostic sur les gains et les coûts d’une relocalisation en France, et d’être accompagnées dans un « parcours de relocalisation », avec un interlocuteur désigné par l’État, les fameux « commissaires au redressement productif ».
À chaque fois, les résultats de ces mesures ont été très limités.
Une troisième politique publique viserait à agir en amont sur l’environnement domestique dans lequel évoluent les entreprises, dans le but d’améliorer la compétitivité par les coûts. La politique de relocalisation ressemble alors fortement à une politique d’attractivité du territoire, dans la droite lignée des recommandations de réformes structurelles internationales d’organisation telles que préconisées par l’OCDE ou le World Economic Forum [23]. Cette politique de long terme passe par une baisse des impôts de production, une stabilité réglementaire et fiscale, une baisse du coût du travail peu qualifié, une élévation des qualifications, etc.
Mais à court terme, une politique ciblée sur quelques produits (biens ou services) jugés stratégiques ou essentiels doit être préférée à une politique d’aide globale à la relocalisation, dans la lignée de la décision prise par le gouvernement français en mai 2020, à l’occasion de la crise du Covid-19. En effet, dans le cadre du plan « France Relance », une enveloppe de 720 millions d’euros sera consacrée à la relocalisation de « maillons manquants des chaînes de production stratégiques » et au renforcement de capacités de production nationales. Il s’agit en particulier de conforter notre « résilience sanitaire » et de soutenir des investissements dans cinq secteurs stratégiques (la santé, l’agro-alimentaire, l’électronique, les intrants essentiels et la 5G). Les premières annonces, faites en novembre 2020, font état de 31 projets retenus, pour une enveloppe de subventions publiques de 140 millions d’euros. La démarche nous semble intéressante, mais les enveloppes financières qui lui sont associées paraissent toutefois quelque peu dérisoires au regard des enjeux.

Les différentes mesures envisagées dans cet article devraient être soutenues par la création d’un grand ministère de l’industrie, à l’instar du MITI japonais, qui pourrait orienter notre politique industrielle et orchestrer la mise en œuvre des mesures adoptées.
Son premier objectif serait de restreindre nos dépendances les plus sensibles (semi-conducteurs, matériaux, nouvelles technologies, télécommunications, informatique…) qui doivent être analysées par les professionnels des secteurs concernés pour voir dans quelle mesure on peut porter remède en particulier aux monopoles conduisant à un danger potentiel de raréfaction ou de prix insoutenables.

La France dispose encore de nombreux atouts pour rebâtir une industrie performante. Il convient maintenant d’y croire et de créer une nouvelle dynamique constructive. Il s’agit d’un enjeu majeur pour notre pays.

Laurent Izard, le 20 octobre 2021

Notes

[1De 1873 à 1973

[2Bruno le Maire a annoncé en juillet 2020 une première mesure en ce sens avec une baisse d’impôts de 20 milliards d’euros pour relocaliser l’industrie.

[3La relance industrielle ? Comment ? (loikleflochprigent.fr) 5 mars 2021

[4Pour plus de détails sur ce point, voir : « Les prérequis d’une souveraineté économique retrouvée », Laurent Izard, sur le site Géopoweb

[6Raphaël Gauvain, Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale
26 juin 2019
https://www.viepublique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/194000532.pdf

[7Le rapport du député Raphaël Gauvain vise à fournir aux entreprises françaises les moyens de se défendre contre les actions judiciaires étrangères à l’aide d’outils juridiques performants. Dans le viseur du député, il y a en particulier le « Cloud Act » américain.

[11BNP Paribas a dû payer près de 9 milliards de dollars pour non respect des embargos américains sur Cuba, le Soudan et l’Iran. Le Crédit Agricole, la Société Générale, Total, Alstom, Alcatel Lucent, Technip ont également été rançonnés et ont dû payer de lourdes amendes…

[12C’est la mésaventure qui est arrivée à Frédéric Pierucci, le cadre d’Alstom, qui a passé plus de deux ans en prison aux USA.

[13L’Union européenne a ainsi sanctionné en juillet 2020 plusieurs auteurs de cyber-attaques chinois, russes et coréens : https://amp-lefigaro-fr.cdn.ampproject.org/c/s/amp.lefigaro.fr/flash-actu/l-ue-sanctionne-les-auteurs-russes-et-chinois-de-cyberattaques-20200730

[14Voir sur ce point : « Les prérequis d’une souveraineté économique retrouvée », Laurent Izard, sur le site Géopoweb

[17Notamment en vertu des dispositions e la loi PACTE

[18FAIRE DE LA FRANCE UNE ÉCONOMIE DE RUPTURE TECHNOLOGIQUE, rapport aux Ministre de l’Économie et des Finances et Ministre de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation 7 février 2020

[19Pour plus de détails sur ce point, voir : La relance industrielle ? Comment ? (loikleflochprigent.fr) 5 mars 2021

[20Voir sur ce point : « Les prérequis d’une souveraineté économique retrouvée », Laurent Izard, sur le site Géopoweb

[22Voir sur ce point : « Les prérequis d’une souveraineté économique retrouvée », Laurent Izard, sur le site Géopoweb

[23Souveraineté économique : entre ambitions et réalités - Fondapol

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LES MINES AU SERVICE D’UNE SOUVERAINETÉ DECARBONÉE. Par Didier JULIENNE

RÉINDUSTRIALISER LA FRANCE : UN PARI IMPOSSIBLE ? Par Laurent IZARD

« RESPONSABILITE DES ENTREPRISES : QUAND L’HISTOIRE S’ACCELERE… ». PAR SYLVIE MATELLY

BANQUES ET MARCHÉS, UN ENJEU GÉOPOLITIQUE MAJEUR. Par Alain LEMASSON

📌 PREMIERES MESURES DE SOUVERAINETE ECONOMIQUE ET TECHNOLOGIQUE POUR L’EUROPE. UN TOURNANT ?

LE CAPITALISME DE PLATEFORME ET LA PRECARISATION DE L’EMPLOI, UNE REALITE REINVENTEE ? Par Sophie BOUTILLIER

RENAULT, ENTRE INTERVENTIONNISME DE L’ÉTAT ET DEFICIT STRATEGIQUE. PAR A. LOUVEL

L’INTELLIGENCE ECONOMIQUE EN ACTION (S). Analyse de cas pratiques par Nicolas MOINET

De la FUSION ALSTOM-SIEMENS à ALSTOM- BOMBARDIER ?

LE DOSSIER STX/FINCANTIERI. L’Etat à la manoeuvre

FUSION ALSTOM-SIEMENS : un déficit stratégique de l’Etat français et de l’U.E...

DOSSIER FINCANTIERI : quel avenir pour l’industrie navale européenne ?

LE PARTENARIAT BOMBARDIER-AIRBUS, reflet d’une compétition acharnée

Le GROUPE PSA, un groupe stratégique

L’AXE TECHNOLOGIQUE : Gemplus/ Gemalto, Daily motion

UNE SYNERGIE D’ACTIVITES ? Engie, EDF et Areva