GEOPOWEB

LES MULTINATIONALES DE L’HYDROGENE

mardi 21 novembre 2017

LES MULTINATIONALES DE L’HYDROGENE

Un nouveau lobby de 13 firmes, les majors de demain ? Lesquelles, leurs objectifs, leur poids respectif. La place de la France dans cette « activité émergente ». Un nouvel outil de puissance nationale ?
Les multinationales de l’hydrogène, une solution pour la transition énergétique ?

L’HYDROGENE, UN MARCHE D’AVENIR

Encore peu connu du grand public et souvent perçu comme dangereux, l’hydrogène permet de fournir de l’énergie sans émettre de CO2. Il peut être produit en utilisant des sources d’énergies renouvelables.
Jules Verne l’avait prédit en 1874 dans son roman L’île Mystérieuse. Attribuant cette vision à l’ingénieur Cyrus Smith, il présentait l’hydrogène comme l’énergie de demain : “Je crois que l’eau sera un jour employée comme combustible, que l’hydrogène et l’oxygène, qui la constituent, utilisée isolément ou simultanément, fourniront une source de chaleur et de lumière et d’une intensité que la houille ne saurait avoir (...). L’eau est le charbon de l’avenir.” Au 19ème siècle on chauffait les maisons à l’hydrogène, plus tard Ariane allait être propulsée avec des moteurs hydrogène. Aujourd’hui les voitures à moteurs à combustion interne ou piles à combustible annoncent une nouvelle ère.

L’HYDROGENE DANS LA TRANSITION ENERGETIQUE

Utilisé de longue date dans l’industrie pétrolière ou la chimie, aujourd’hui l’hydrogène trouve un usage dans l’énergie. Cette filière est toutefois encore embryonnaire car pas assez mature sur le plan économique. Toutefois, elle compte un nombre d’acteurs croissant et pas seulement au niveau de R&D. Pour atteindre les objectifs environnementaux en profitant de l’hydrogène, il y a nécessité de doubler la production mondiale actuelle. Quelques chiffres : sur le marché automobile mondial à l’horizon 2050 la part de l’hydrogène est annoncée à 40 %. 3000 véhicules circulent déjà à l’hydrogène via des piles à combustible. On estime le nombre de véhicules à l’hydrogène à 50.000 pour 2020 dans le monde. L’hydrogène représente actuellement 2 % de la consommation mondiale d’énergie. Si sa production est polluante, son utilisation quant à elle est totalement propre. La recherche et les innovations technologiques permettent d’avancer vers une production d’hydrogène de moins en moins polluante notamment au moyen de l’électrolyse.

C’est au moyen d’une pile à combustible (coûtant environ 4000 €) que les véhicules peuvent fonctionner “à l’hydrogène”. Ceci permet aux véhicules électriques d’avoir une plus grande autonomie, une avancée majeure. L’avenir de la pile à combustible dépendra étroitement des performances futures des batteries automobiles (qui font fonctionner un véhicule électrique). Si leur progrès reste inférieur aux moteurs thermiques alors le recours à l’hydrogène s’avèrerait être réellement intéressant. L’évolution de la part de marché de la voiture zéro émission dépend du prix des barils de pétrole. Soit selon les experts, à 100 $ le baril elle ne dépasse pas 5%. A 300 $ le baril, elle grimpe à 20 %

LA CONSTRUCTION D’UN MARCHE DE L’HYDROGENE ET LA MISE EN PLACE D’UN OLIGOPOLE DE 13 GRANDS

Soit 4 françaises (Air Liquide, Alstom, Engie, Total), 3 allemandes (BMW, Daimler, Linde), 4 acteurs asiatiques (Toyota, Hyundai, Kawasaki, Honda) + Anglo-American et Shell

BMW investit depuis un certain temps déjà dans l’hydrogène. En effet, dès les années 2000, le groupe allemand propose le modèle de la série 7 pouvant fonctionner avec de l’hydrogène mais aussi avec du sans-plomb (moteur V-12). Pour 2021, le groupe projette la mise au point d’un véhicule capable de fonctionner uniquement à l’hydrogène au moyen d’une pile à combustible. Il a signé un partenariat technologique avec Toyota sur l’hydrogène au niveau de la recherche, avec une volonté de travailler de concert pour développer les véhicules de demain respectueux de l’environnement. Il n’y a pas de participation croisée entre les 2 groupes. Toyota souhaite profiter du haut de gamme allemand. La collaboration permettra de réduire les coûts très élevés de la recherche dans ces secteurs. En 2015, Toyota a été pionnier en la matière avec la Toyota Mirai (« avenir » en japonais). Cette voiture fonctionne avec une pile à combustible, ce qui libère la voiture électrique de son handicap d’autonomie. Elle ne rejette que de l’eau, son autonomie est de 550 km. Toutefois elle est très chère (66 000 € hors taxes et subventions). Un plein d’hydrogène revient à 50 € soit 10 fois plus cher qu’une voiture “purement électrique”.
Pour Daimler, autre marque allemande, la pile à combustible est la meilleure solution pour étendre le rayon d’action de la voiture électrique. Un partenariat avec Renault a été signé dès 2014. Mais le groupe allemand a tenu à « garder la maîtrise technologique sur ce qui constitue le coeur de la voiture de demain ». L’ambition de Shell est l’exemple même d’une synergie entre gouvernements, fournisseurs de carburant et constructeurs de voitures (une symbiose nécessaire à la conquête de nouveaux marchés). Après avoir ouvert en 2011 sa première station de carburant d’hydrogène en Allemagne, le géant prévoit d’en ouvrir 400 avec l’aide de ses joint ventures partenaires (au sein de l’alliance H2 Mobility Germany). Celle-ci regroupe Air Liquide et Linde (fabricants de carburants), Daimler (fabricant de voitures), OMV et Total (géants pétroliers). Les gouvernements européens et allemand co-financent ce projet. Le ministre des transports allemands a exprimé un fervent soutien au projet.
De son côté, Hyundai est le champion des voitures à moteur à hydrogène. Son modèle pionnier ix35 Fuel Cell a été la première voiture à pile combustible à être produite en série pour un conducteur. Le tout nouveau modèle FE Fuel Cell bat tous les records. Alors qu’un véhicule électrique classique nécessite 6 heures de charge pour 200 km, le Fuel Cell prend 3 minutes pour 600 km. Une ultime innovation est la présence d’un humidificateur d’air qui recycle l’eau émise par la pile à combustible hydrogène. Un nouveau partenariat est né entre Kawasaki et Shell. Les deux géants souhaitent transporter de l’hydrogène liquéfié. Le premier essai aura lieu en 2020. L’idée est la suivante : l’hydrogène sera produite en Australie à partir de charbon de faible qualité mais très abondant. La molécule sera liquéfiée puis transportée en bateau (prévus à cet usage) jusqu’au Japon. Ce système permet de dégager de larges marges de bénéfices (un prix de vente de 30 yens par m3 pour un prix de production 15 yens par m3). Le Japon devrait ainsi importer l’équivalent de 1,5 % de sa consommation énergétique.
Outre les constructeurs automobiles, des firmes de producteurs d’hydrogène s’étoffent à l’instar de Linde entreprise allemande. En 2015, ils mettent au point un laboratoire destiné à montrer la diversité des usages de l’hydrogène dans le concept d’e-mobilité. Un beau résultat : un vélo propulsé par une pile à combustible ayant une autonomie de 100 km est mis au point. Daimler et Linde se sont associé dans les années 2010 pour ouvrir 20 stations d’hydrogène un peu partout, afin que le carburant puisse prendre véritablement son essor.
Lors du Forum de Davos, les 13 géants industriels se sont unis pour promouvoir l’hydrogène dans le but de lutter contre le réchauffement climatique. Ce forum constitue le premier Conseil de l’hydrogène qui pourrait être déterminant pour remplir les Accords de Paris sur le climat de 2015 afin de limiter le réchauffement climatique à 2 °C. Le Forum a débouché sur la rédaction du rapport « How hydrogen empowers the energy transition 2 ». Il indique que les investissements actuels dans l’hydrogène dépassent 1,4 milliards d’euros par an. Il souligne aussi qu’il est nécessaire que les gouvernements soutiennent cette filière pour qu’elle puisse se développer davantage.

EN FRANCE, QUELLE PLACE POUR L’HYDROGENE ?

Dans le conseil de l’hydrogène, il y a quatre groupes français : Air Liquide, Alstom, Engie, Total. Le Conseil est dirigé par deux co-présidents issus de deux régions et secteurs différents (Air Liquide et Toyota). « Nous appelons aujourd’hui les dirigeants du monde entier à s’engager en faveur de l’hydrogène, afin que nous puissions, ensemble, nous donner la possibilité, d’atteindre les objectifs climatiques de l’Accord de Paris », a déclaré Benoit Potier, le PDG d’Air Liquide. La France, semble vouloir se positionner comme leader dans le secteur en soulignant son rôle dans l’accord de Paris et dans la transition énergétique. A-t’elle les moyens de ses ambitions ? La France est un acteur important de la R&D dans le domaine. Elle produit aujourd’hui environ 920 millions de tonnes/an à destination de deux applications industrielles (raffinage et chimie). A cela s’ajoute la co-production dans des usines (60 % de la production totale). La consommation nationale d’hydrogène industrielle est orientée à la hausse (taux de croissance estimé à 4 % en Europe).
La France ne reste pas non plus en marge de la révolution hydrogène-mobilité. Alstom a mis en place un train à hydrogène (Coradia iLint), une alternative à l’électrification des lignes. L’Etat verse un bonus « écologique » de 6.300 euros pour l’achat d’un véhicule à hydrogène. C’est ainsi que circulent une centaine de véhicules de ce type dont cinq taxis parisiens - cinquante dans un proche avenir - ainsi que bientôt cinq autobus à Cherbourg. Cependant notre pays est en retard en matière de points de ravitaillement, LA PROBLEMATIQUE pour convaincre les particuliers de franchir le pas. Conscient du problème, le gouvernement s’est engagé à installer une centaine de stations d’ici 2018. Au niveau environnemental, la production par le procédé de vapeforage (l’essentiel de la production) est polluant (10T CO2/T soit 1 à 2 % des émissions totales du pays). D’autres procédés d’extractions sont de plus en plus valorisés dans le but de réduire l’émission de gaz à effet de serre (production par électrolyse). Ainsi en 2016, Areva inaugure la première usine française de fabrication d’électrolyseurs afin de développer l’usage de l’hydrogène dans les transports. L’impression qu’a pu donner le France de ne jouer aucun rôle dans le recours à l’hydrogène-énergie est aujourd’hui effacée. Elle est encadrée au niveau national par la feuille de route hydrogène de l’ADEME, l’article 121 de la Loi sur la transition énergétique 3, le consortium Hydrogène Mobilité France et l’Appel à projets « Territoires hydrogène ». Les démonstrations se multiplient dans tout l’hexagone.
Ainsi l’ambition de ces entreprises est d’unir leurs forces et d’intensifier encore leurs investissements dans le développement et la commercialisation. L’hydrogène est essentiellement utilisé dans des applications industrielles et dans les fertilisants, mais aussi pour l’automobile ou dans les foyers. Une utilisation étendue de l’hydrogène aurait des bénéfices réels et renforcerait l’indépendance énergétique. Mais pour s’engager pleinement dans la transition énergétique, il est primordial que sa production soit la plus « propre » possible. Si les technologies existent et sont déjà testées, reste à faire baisser les coûts de production et de distribution comme a su le faire l’industrie solaire.

« Une voiture à l’hydrogène coûtait 1 million d’euros il y a cinq ans. Aujourd’hui, on est à 60.000 ou 70.000 euros. C’est le prix d’une Tesla ». Ce qui est très encourageant. Cependant, il existe toujours des problèmes concernant l’environnement. La majorité du gaz hydrogène est produit dans des centrales d’énergie avec un processus de fracturation hydraulique. De très fréquentes fuites de méthane ont lieu (un gaz à effet de serre ayant un impact 86 fois supérieur que le CO2)

M. L. Camozzi, A. Kmety, C. Spagnoli, juin 2017

pdf

Répondre à cet article