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LE POUVOIR DE LA MONNAIE AU SERVICE DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE ET SOCIALE. ENTRETIEN EXCLUSIF AVEC JÉZABEL COUPPEY-SOUBEYRAN, PIERRE DELANDRE, AUGUSTIN SERSIRON

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JACQUES DELORS, L’EUROPEEN. Par Jean-Marc SIROËN

LE GEOINT MARITIME, NOUVEL ENJEU DE CONNAISSANCE ET DE PUISSANCE. Philippe BOULANGER

INTERDÉPENDANCE ASYMÉTRIQUE ET GEOECONOMICS. Risque géopolitique et politique des sanctions

LA RÉSILIENCE : UN RÉCIT PROGRESSISTE DE SUBSTITUTION FACE AUX MULTIPLES CHOCS DE LA POSTMODERNITÉ. Baptiste RAPPIN

VERS DES ÉCHANGES D’ÉNERGIE « ENTRE AMIS » ? Anna CRETI et Patrice GEOFFRON

LA FIN DE LA SECONDE MONDIALISATION LIBÉRALE ? Michel FOUQUIN

DE LA FRAGMENTATION À L’INSTALLATION D’UN « DÉSORDRE » MONDIAL (I)

DE LA FRAGMENTATION À L’INSTALLATION D’UN « DÉSORDRE » MONDIAL (II)

DÉMOCRATIE et MONDE GLOBALISÉ. À propos de la « Grande Expérience » de Yascha Mounk

LE PACTE VERT, L’ AGRICULTURE ET L’ « EFFET BRUXELLES » A L’ÉPREUVE DU XXIÈME SIECLE. A. DI MAMBRO et M. RAFFRAY

ART ET DÉNONCIATION POLITIQUE : LE CAS DE LA RDA. Elisa GOUDIN-STEINMANN

RÉINDUSTRIALISATION ET DÉCARBONATION, QUID DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE ET DU RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE ? Sophie BOUTILLIER

ET SI LE RETOUR DE L’INFLATION ÉTAIT UN ÉVÈNEMENT GÉOPOLITIQUE ? Sylvie MATELLY

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« LA GUERRE DES PUISSANTS »

« ENTRE IGNORANCE ORGANISÉE ET RÉSILIENCE, LA GESTION DE LA CATASTROPHE NUCLÉAIRE DE FUKUSHIMA PAR LA RESPONSABILISATION DES VICTIMES ». Alexandre VAUVEL

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DE LA SOCIÉTÉ POST-INDUSTRIELLE À LA SOCIÉTÉ HYPER-INDUSTRIELLE. LA RÉHABILITATION DE LA SOUVERAINETÉ ÉCONOMIQUE. Par Arnaud PAUTET

NE PAS SE SOUMETTRE À L’HISTOIRE. IMPRESSIONS DE « DÉJA VU »

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UNE MONDIALISATION À FRONT RENVERSÉ

LES DESSOUS GÉOPOLITIQUES DU MANAGEMENT. Par Baptiste RAPPIN

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LE MULTILATERALISME EN QUESTION. Par Philippe MOCELLIN

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« POUR TIRER LES LEÇONS DE LA CRISE, IL NOUS FAUT PRODUIRE MOINS ET MIEUX ». Par Th. SCHAUDER

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LA MONDIALISATION et LA SOUVERAINETE sont-elles CONTRADICTOIRES ?

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LA RUSSIE A-T-ELLE LES MOYENS DE VAINCRE EN 2024 ? Michel FOUQUIN

mercredi 28 février 2024 Michel FOUQUIN

Au début du millénaire, la Russie a connu un spectaculaire rétablissement grâce à l’envolée des prix des matières premières, puis une forte résilience économique en 2022, en dépit des sanctions occidentales. Michel Fouquin (1) revient sur les ambitions territoriales historiques et de puissance de la Russie. Dans la période contemporaine, le pouvoir russe inscrit « à nouveau la lutte contre l’hégémonie occidentale au centre de sa stratégie ».
Le coût de la guerre, y compris humain, en passant par la situation des finances publiques et celle des comptes du commerce extérieur sont présentés par l’auteur. Si des éléments de distinction entre le court terme et le long terme sont en perspective, ils ne permettent pas aujourd’hui de trancher définitivement sur le devenir économique de ce conflit. Dans ce bel article, ce dont il s’agit, est la spécificité du modèle russe : économie de rente et keynésianisme militaire. Une manière de rappeler que la dimension économique demeure un vecteur essentiel dans les conflits...

(1) Michel Fouquin est Conseiller scientifique du CEPII

Des ambitions multiséculaires contrariées

Dotée d’un immense territoire et de ressources naturelles abondantes - énergétiques, minérales et agropastorales -, la Russie apparait cependant, selon le terme choisit par Youri Sokoloff [1], comme une puissance pauvre. Au XIXe siècle, sous la férule du Tsar Nicolas 1er ses ambitions sont européennes. Le Tsar se pose en défenseur des autocraties européennes contre les révolutions républicaines et libérales qui les menacent. La Russie devient un acteur majeur du grand jeu des alliances entre les puissances européennes jusqu’à la révolution bolchevique de 1917.

Après la seconde guerre mondiale l’URSS est devenue une superpuissance mondiale. Elle s’engage dans une lutte contre l’Occident capitaliste par tous les moyens, en soutenant notamment les luttes de libération nationale dans les pays du tiers monde. Mais, dans les années 1980, la stagnation de l’économie la prive progressivement des moyens de ses ambitions. L’échec en 1989 de la guerre menée pendant dix ans pour dominer l’Afghanistan signe le début de la fin de l’URSS qui se disloque en Décembre 1991. La transition brutale vers l’économie de marché se traduit en 1998 par une faillite économique complète, une phase d’hyperinflation, un appauvrissement brutal de la population, les salaires des fonctionnaires ne sont plus payés… Avec la complicité des anciens du KGB, les futurs oligarques en profitent pour s’approprier par la violence les ressources du pays. Enfin en 1999 la fédération de Russie est menacée d’éclatement par la révolte tchéchène.

Le rétablissement de courte durée au début du XXIe siècle

L’arrivée au pouvoir de Poutine cette même année marque le début du rétablissement des institutions et de l’économie de la fédération. Ce rétablissement bénéficie d’une envolée des prix des matières premières qui débute à la mi-2001. L’indice des prix de l’énergie calculé par la banque Mondiale (graphique 1) sur la base de 100 en 2016 est multiplié par 6 (de 50 en 2001 il atteint 304 à la mi-2007). Ces prix fluctuent fortement ensuite autour d’une moyenne élevée de 176. Après la ruine économique qui a suivi l’éclatement de l’URSS, l’économie connait une embellie : selon les données du FMI le PIB par habitant de la fédération de Russie, mesuré en parité pouvoir d’achat international, remonte de 50% du niveau des pays développés en l’an 2000 à 62% en 2008. Mais La crise financière mondiale inverse le mouvement et le ratio retombe à 45% en 2022 (graphique 2).

Cette nouvelle crise met un terme à la politique de modernisation de la Russie. Le tandem dirigeant Poutine, Medvedev, rejette la libéralisation économique et politique de leur pays, responsable selon eux du chaos, et reviennent à la grande tradition russe autour du triptyque : répression, militarisation et rente énergétique.

C’est au début des années 2010, que Poutine, qui a été humilié par l’effondrement de l’URSS et la relégation de son pays à un rôle d’acteur de seconde zone, perçoit les faiblesses du camp occidental. Il y a d’abord l’abandon par Obama en 2009 du projet d’installation d’un bouclier antimissile à l’est de l’Europe, puis son refus d’intervenir en Syrie quant Hafez el Hassad franchit ce qu’il a fixé comme une « ligne rouge » (l’utilisation des armes chimiques contre les forces démocratiques). Ainsi commence pour la Russie une stratégie d’alliances et de soutien des forces anti-occidentales dans le monde et son intervention militaire directe dans un certain nombre de conflits : en Géorgie, en Syrie, en Lybie, en Afrique subsaharienne etc…il place de nouveau la lutte contre l’hégémonie occidentale au centre de sa stratégie.

Et c’est en 2013, presque simultanément, que Xi Jinping arrive au pouvoir en Chine. Bien décidé, lui aussi, de remettre en question la domination de l’« Occident décadent ». Dès sa nomination il se rend en Russie pour réaffirmer l’« amitié indéfectible » entre les deux pays face à cet Occident. Mais la Chine reste prudente car son développement exceptionnel dépend largement de la conquête des marchés mondiaux de produits manufacturés. La Chine a besoin de protéger ses accès aux marchés des pays développés. Poutine au contraire choisit l’affrontement militaire direct avec l’invasion de la Crimée et d’une partie de l’Ukraine en 2014. La faiblesse des réactions européennes à cette agression d’un pays souverain le confirme dans l’idée que l’Europe est le maillon faible de l’Occident et prépare dès lors l’invasion de toute l’Ukraine qu’il tente en 2022. Cette invasion se heurte à un double échec cinglant : militaire devant la formidable résistance ukrainienne, diplomatique et stratégique devant la mobilisation de l’Occident réunifié pour soutenir l’Ukraine.

La guerre en Ukraine devient une guerre d’attrition qui entraine la mobilisation totale des deux pays et dans une certaine mesure celle de leurs alliés. Les défis auxquels les deux belligérants doivent faire face sont à la fois financiers, économiques et humains.

La surprenante résilience de l’économie russe en 2022

L’année 2022 a été extrêmement contrastée pour la Russie : d’une part elle a perdu son pari de mener une guerre éclair et d’annexer l’Ukraine, mais d’autre part elle a bénéficié d’une année économique exceptionnelle en dépit des sanctions occidentales. Celles-ci avaient pour but de la priver des ressources extérieures que lui procuraient ses exportations de produits primaires. Or les recettes d’exportation russes ont atteint des niveaux exceptionnels grâce an contournement de ses flux d’exportation et surtout grâce à la flambée des prix de l’énergie primaire (cf. graphique 1). Elles se traduisent par des excédents de sa balance des paiements courants tout aussi exceptionnels (cf. graphique 3). Par rapport à la moyenne annuelle de 63 milliards de dollars des années 2000-2020 le niveau de 2022 est proche de 250 milliards. Cela facilite grandement le financement de la guerre dont le coût est estimé du côté russe à 63 milliards environ (contre 40 milliards du côté ukrainien). Et cela a permis de limiter le recul de la croissance russe à 1.2% en 2022.

L’agression russe et les sanctions occidentales ont donc fait flamber les prix des matières premières minérales, énergétiques et agropastorales ce qui a contribué fortement à la valorisation des exportations russes, d’une part, et, d’autre part, les sanctions n’ont pas été appliquées par les pays du « South Global » (quelle que soit la réalité de ce groupement hétéroclite) [2]. Par ordre d’importance, la Chine, l’Inde et la Turquie ont été et sont encore aujourd’hui pour plus de 75% les principaux destinataires des exportations Russes en ce qui concerne le charbon, le pétrole brut, le gaz naturel. De nombreux pays du Sud souhaitent s’émanciper de la domination occidentale et considèrent que cette guerre n’est pas leur affaire et continuent donc de maintenir leurs importations de Russie, bénéficiant de prix avantageux. Cette réorientation du commerce a été extrêmement rapide. Les opérateurs du commerce international, sont en majeure partie des compagnies de transport à capitaux occidentaux ou des compagnies « fantômes » dont on ne connait pas les propriétaires. Souvent confrontés à des crises d’approvisionnement de toutes sortes, ces opérateurs ont développé une extraordinaire capacité d’adaptation qui est la condition de leur profitabilité. De leur côté les européens ont eux aussi réusit en un an, parfois dns la douleur a réorienter leurs sources d’approvisionnement et à ne plus dépendre, dans une large mesure, des importations russes. Pour un pays comme la France l’impact direct du recul des échanges avec la Russie est en revanche tout à fait secondaire [3].

Une année 2023 et des perspectives économiques et financières 2024 nettement moins favorables pour la Russie

L’année 2023 apparait beaucoup moins favorable, même s’il y a une reprise apparemment remarquable de la croissance du PIB évaluée à 3.6%. Mais c’est un chiffre claironné par Poutine lui-même qui a été aussitôt mis en doute par la présidente du FMI, qui insiste sur le fait que cette croissance est le fait du complexe militaro industriel au détriment du secteur civil. Surtout c’est un chiffre qui masque le déclin économique de la fédération de Russie depuis 2008 comme on l’a noté plus haut !

On assiste, depuis le milieu de l‘année 2022, à un déclin spectaculaire des excédents courants de la Russie. D’un sommet proche de 80 milliards de dollars au deuxième trimestre 2022, on tombe à 10 milliards au quatrième trimestre 2023, pour une moyenne annuelle 2023 estimée à 50 milliards [4]. Dans le même temps le budget militaire s’alourdit [5]. D’une moyenne de dépenses militaires de 47 milliards de dollars avant-guerre, on passe à 60 milliards et 63 milliards en 2022 et 2023, puis en 2024 les annonces du budget faites fin 2023 prévoient une explosion de ces dépenses qui atteindraient près de 140 milliards de dollars, soit plus de 7,1% du PIB (la moyenne européenne est de 1.5% environ jusqu’en 2022) et plus de 35% du budget de la fédération (de 4% pour la moyenne européenne). La part consacrée au fonctionnement de l’État et aux dépenses sociales en subit le contre coup. Le déficit budgétaire atteindrait cependant 24 milliards de dollars.

Cette flambée des dépenses militaires soutient certes la croissance mais celle-ci ne parait pas suffisante pour combler les besoins de l’armée comme en témoignent [6] le recours aux importations de munitions nord coréennes et les tentatives de rachat du matériel militaire que la Russie avait exportée massivement avant la guerre. L’Égypte, le Brésil, le Pakistan et la Biélorussie ont été approchés à cette fin. Par ailleurs des contrats à l’exportation ont été annulés. Dans un autre domaine la pénurie de composants aéronautiques contraint la Russie à réduire son activité de transport aérien et à cannibaliser une partie de sa flotte pour entretenir ceux qui restent actifs. Selon le cabinet Oliver Wyman cité par Le Monde du 12 février 2024 : « plus de la moitié de la flotte actuelle sera mise hors service d’ici à 2025 ». Déjà il semble que les incidents de vol se multiplient en ce début de 2024. Or le transport aérien est vital pour un pays de la taille de la fédération russe.

Une autre partie de cette hausse des dépenses publiques traduit le coût humain élevé de cette guerre à travers l’accroissement des pensions généreuses versées aux familles des soldats tués ou blessés gravement. Selon les estimations d’un rapport confidentiel présenté au Congrès américain 315.000 soldats de nationalité russe ont été mis hors de combat depuis le début de la guerre, comparé à un effectif initial de 360.000 combattants mobilisés. Cette hausse pour 2024 est aussi liée à l’accroissement prévu du nombre de combattants de 15% (soit 170.000 de plus pour atteindre un effectif total de 2.2 millions [7], contre 1.5 million avant l’agression).

L’économie russe souffre par ailleurs d’une insuffisance de main-d’œuvre : le déclin démographique, les centaines de milliers d’hommes qui ont fui l’enrôlement, les 315.000 victimes, et les 700.000 soldats mobilisés en supplément par rapport à l’avant-guerre. Cette pénurie se reflète dans la forte montée des salaires. Selon l’agence chinoise Xinshua net (10 février 2024), le ministre du travail russe a prévu d’augmenter le salaire minimum de 18.5%, ce qui concernerait plus de 4 millions de travailleurs. Ce sont autant de facteurs qui devraient fortement peser sur l’inflation à venir.

Les finances suffiront-elles à soutenir l’effort de guerre ?

Si la dette extérieure de la Russie est faible, et se réduit encore, cela est dû au fait que les créanciers potentiels ne se précipitent pas. Les réserves extérieures de la Russie se monteraient à 630 milliards dont 300 milliards sont détenus par les pays occidentaux et sont gelés du fait des sanctions. La tentative de dédollariser les paiements extérieurs de la Russie [8] se heurtent à la faiblesse du rouble sur les marchés mondiaux. Sur un an le rouble a chuté de 71.4 roubles pour un euro en janvier 2023 à 97.1 pour un euro, pour enrayer une chute incontrôlée, la banque de Russie a relevé ses taux à long terme à 16%, face à une inflation de plus de 7% en 2023. Cette hausse pèse sur l’économie et alourdi d’autant le coût de la dette.

Les recettes fiscales sur les revenus ne pouvant augmenter compte tenu de l’appauvrissement de la population, ces dépenses supplémentaires devront être financées pour une part par un accroissement des impôts sur les entreprises et pour une autre part par la planche à billet, l’endettement extérieur étant exclu. En effet la dette extérieure de la Russie est en apparence très faible moins de 5% du PIB mais dans le même temps l’agence notation Fitch classe ces dettes en catégorie C juste au-dessus de la catégorie D correspondant au défaut de paiement. Le contournement des sanctions financières et l’exclusion du système SWIFT pour gérer les règlements internationaux par la création d’un rouble numérique soulève de nombreux problèmes qui ne sauraient être résolus avant plusieurs années [9]. La Russie tente aussi de régler les intérêts sur sa dette en la payant en roubles mais ne connait pas de grand succès, malgré la volonté affichée par les BRICS élargis de dédollariser leurs paiements extérieurs. Signe de problèmes financiers certains, l’une des principales banques chinoises pour les importateurs russes, la Zhejiang Chouzhou Commercial Bank, a récemment bloqué tous les règlements avec les importateurs russes, sans fournir d’explication officielle à ce stade [10].

L’année 2024 sera décisive

Les données disponibles montrent un écart fortement croissant en 2024 entre l’accroissement des moyens mis en œuvre et les ressources globales du pays, donnant le sentiment que la Russie, par cet effort militaire exceptionnel, cherche à en finir cette année. Dans ses prévisions pour les années suivantes elle prévoit une réduction de son effort financier.

Du côté de l’Ukraine c’est l’aide occidentale et en particulier européenne qui sera déterminante, surtout en cas de défection de l’allié américain. L’aide occidentale a souvent donné l’impression d’être en retard sur les besoins de l’Ukraine. Le réarmement européen prend du temps mais le potentiel industriel et les capacités financières ne manquent pas. L’Europe sera-t-elle capable de fournir à temps et en quantités suffisantes nécessaires à l’Ukraine ?

Michel Fouquin, 28 février 2024

Notes

[1Cf. Georges Sokoloff. La puissance pauvre fayard 1993

[2Carl Grekou, Valérie Mignon, Ragot. Russie : sanctions occidentales et échappatoires orientales. La Lettre du CEPII n° 439 août 2023.

[3Charlotte Emlinger et Kevin Lefebvre. Commerce avec la Russie : des sanctions qui font plus de peur que de mal à nos exportations La Lettre du CEPII, n° 442 novembre 2023

[4Bank of Russia. Estimate of Key Aggregates of the Balance of Payments of the Russian Federation. Janvier 2024

[5SIPRI. Russia’s new budget law signals determination to see the war in Ukraine through. December 2023

[6Selon le Wall Street journal cité par le Figaro du 9 novembre 2023.

[7Zelenski souhaiterait atteindre 500.000 soldats actifs en 2024.

[8Les échanges avec la Chine étant excédentaires pour la Russie elle est payée au moins en partie en Yuan, ce qui peut lui être utile si d’autres pays acceptent aussi d’être payés en Yuan.

[9Nouvelles économiques de l’Eurasie n°112 septembre 2023, Direction du Trésor.

[10La Tribune du 8 février 2024.

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