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La gouvernance mondiale existe déjà… UN DIALOGUE CRITIQUE AVEC B. BADIE

mercredi 29 novembre 2017 Etudiants Prépa HEC1

La gouvernance mondiale existe déjà… UN DIALOGUE CRITIQUE AVEC B. BADIE

Le philosophe allemand E. KANT énonce en 1795 les principes d’organisation d’une société cosmopolitique basée sur les principes d’une gouvernance équitable des peuples. Il nourrit ainsi l’idéal d’un monde déterminé par le monde, résultat d’une coopération des acteurs étatiques pour la création d’un cadre de régulations commun, intangible et universel.
Le terme de « gouvernance mondiale » est popularisé à la fin des années 80 comme un besoin, dans le cadre d’une économie mondialisée, de plus en plus interdépendante depuis les années 50. En effet, la fin de la Seconde Guerre mondiale a marqué un tournant : si les conflits n’ont pas de frontières, définir un cadre international autorégulateur, se pose en nécessité pour la construction d’une paix durable, tant sur le plan diplomatique (création de l’ONU), qu’économique (Bretton Wood) ou commercial (GATT). La signification contemporaine de la gouvernance mondiale est floue. Si des principes fondamentaux d’une « bonne gouvernance » sont avancés par l’élaboration d’un indice, crée en 2008 lors du Forum pour une Nouvelle Gouvernance Mondiale (paix, démocratie, respect des droits de l’homme et développement durable entre autres…), la concrétisation de sa mise en place pose problème. La gouvernance mondiale se caractérise par l’élaboration d’un cadre normatif international souvent caricaturé en un organisme mondial à venir basé sur le modèle de l’Etat comme peut l’évoquer Dani Rodrik. Gouvernance ne saurait être confondu avec gouvernement, ce qui désigne l’organisation propre à l’Etat et assurant sa gestion et sa stratégie. Parler de gouvernement mondiale reviendrait alors à nier l’existence de la souveraineté nationale, ou d’autonomie des territoires.
Souveraineté et autonomie différent en ce que le premier renvoie à une forme d’autorité suprême, relevant de l’exercice de l’Etat quand le second s’inscrit à une échelle moindre, au sein d’une communauté autonome par exemple, au sein même d’un Etat. La perspective d’une gouvernance mondiale, au sens fort, est par conséquent la promesse d’une friction croissante avec ces différentes formes d’autorité, revendiquant leur indépendance et leur droit à disposer d’eux-mêmes, sans l’ingérence d’un pouvoir surimposé. Cette gouvernance mondiale, semblerait alors plus fantasmée qu’effective.
La lecture des ouvrages de Bertrand Badie, suggère que la gouvernance mondiale existe déjà. Régulation du transport aérien, éradication de la variole en Afrique ou encore prise en main d’enjeux humanitaires tel que la lutte contre la malnutrition seraient autant d’éléments justifiant cette affirmation. Pourtant au-delà de ces faits, l’interdépendance mondiale n’est pas synonyme de gouvernance, car si les organismes internationaux ont leur place, indéniable, les réalités d’une économie de marché, hautement concurrentielle, font de l’Etat et de l’Entreprise les acteurs structurants de la mondialisation. L’avènement d’un cadre global semble alors bien illusoire.

1) Certes, des indices de gouvernance mondiale…

Pour pouvoir parler d’une gouvernance mondiale, il faudrait déjà que celle-ci ait existé ou qu’elle existe. D’un point de vue historique, la volonté d’en créer une est évidente notamment suite à la catastrophe de la Seconde Guerre mondiale. Elle a connu quelques succès notables.

…hérités d’une reconstruction mondiale ; nul espace n’est épargné par la Mondialisation

Héritière de la Société des Nations, que l’on peut déjà considérer comme un projet de gouvernance mondiale, l’Organisation des Nations Unies (ONU) est créée en 1945. De par son nom, elle exprime déjà bien l’idéal d’une gouvernance mondiale. Au niveau de ses aspirations, on retrouve là aussi cette volonté. L’ONU s’articule autour de 4 objectifs principaux : maintenir la paix et la sécurité dans le monde ; développer les relations amicales dans le monde ; réaliser la coopération internationale sur tous les sujets où elle peut être utile et en encourageant le respect des Droits de l’Homme ; être un centre où s’harmonisent les efforts des nations dans des objectifs communs. Or l’ONU n’est pas un gouvernement mondial et ne légifère donc pas. Elle propose cependant un lieu d’expression pour tous les États, de réclamations et de plaintes donc un lieu de discussions entre les pays du monde. De plus, elle agit aussi autour d’actions communes, par exemple dans le militaire avec les interventions des casques bleus de l’ONU.
Une coopération économique existe aussi. Suite aux accords du GATT qui établissait les règles du système commercial, l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) est créée en 1995. Son objectif est clair, c’est elle qui s’occupe des règles régissant le commerce international entre les pays du monde. L’OMC peut donc être considérée à juste titre comme un élément de la gouvernance mondiale. La volonté de faire émerger une gouvernance mondiale est donc indéniable.

Des réalités tangibles et des succès, pourquoi B. Badie parle-t-il de gouvernance mondiale ?

Il y aussi des succès de gouvernance mondiale qui suggèrent à B. Badie que la gouvernance mondiale existe déjà et qui démontre son fonctionnement tous les jours. Voici quelques-uns de ses arguments phares. Lorsque le transport aérien s’est développé après la Seconde Guerre mondiale, un régime international de l’aviation civile avec un certain nombre de conventions et d’organisations a dû être mis en place. Sans cela, des milliers d’avions ne pourraient pas décoller chaque jour dans le monde. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a réussi à éradiquer la variole en Afrique, progrès que l’on peut associer à celui de la FAO ayant permis des progrès de la nutrition dans le monde et ce sont bien, pour lui, d’autres preuves d’une existence de la gouvernance mondiale.
Enfin selon B. Badie, il existe un champion de la gouvernance mondiale incarné par la Chine. En effet, l’empire du Milieu, dans un scénario presque tolkiennien, prend la tête de la lutte pour la préservation de l’humanité notamment au sein du sauvetage de la COP21, abandonnée par la puissance américaine. Elle a aussi mis en avant la théorie du « Win-Win », ou Consensus de Pékin en damant le pion au Consensus de Washington, mêlant économie et rhétorique moraliste. Cette nouvelle approche des relations internationales est donc une vision solidariste, se rapprochant d’une forme de gouvernance mondiale, au sein de laquelle chaque acteur peut évoluer selon ses visions et ses valeurs.
Même si tous ces exemples vont dans le sens de la gouvernance mondiale, tout cela reste, en somme, bien modeste. Si les projets abondent, ils peinent en général à se concrétiser. En parallèle, les projets et organismes existants font également face à des déconvenues de taille. Il suffit de constater l’état de l’OMC pour s’en convaincre ; son efficacité et sa légitimité traversent une crise profonde caractérisée par une incapacité à proposer un cadre normatif faisant consensus, dénigrée même par les EAU, son créateur. Finalement l’idéal de la gouvernance mondiale aujourd’hui n’est-elle pas la montagne accouchant d’une souris ?

2) La gouvernance mondiale : une coquille vide ?

En effet, l’application de mesures relevant d’un consensus commun qui satisferait l’ensemble des acteurs dans une perspective d’organisation et de gestion des enjeux actuels n’est pas effective.

Des enjeux mondiaux au traitement international inefficient ou négligé

On remarque notamment que dans le cas de certains secteurs, une gouvernance satisfaisante n’existe pas ou alors est en partie ou totalement inefficiente. C’est le cas de l’environnement. A ce sujet, les perspectives d’avenir sont très divergentes d’un Etat à l’autre. Nombre d’entre eux font preuve d’unilatéralisme à l’image de la décision de D. Trump de faire sortir les Etats-Unis de l’Accord de Paris cette année. Mais avant cela, ce qui se voulait être une expression de gouvernance mondiale, la COP21 regroupant de nombreux Etats autour d’un même problème, n’en est pas vraiment une, son efficacité étant contestable. Il n’y a en effet aucun moyen de vérifier que les objectifs pour lesquels les différents acteurs ont signé sont respectés. Tout repose sur la confiance en la bonne volonté des Etats, qui ne sont pas non plus soumis à des sanctions s’ils ne respectent pas leurs engagements. C’est la traduction de l’accord dans la législation propre à chaque Etat qui détermine vraiment le niveau de contrainte. Il s’agit donc encore une fois d’un retour à l’échelle étatique et non globale. La perspective d’une gouvernance mondiale à travers cet accord n’est donc que poudre aux yeux.

Si l’on considère d’autres enjeux comme celui des migrations qu’évoque B. Badie dans son ouvrage « Pour un autre regard sur les migrations », on découvre un secteur négligé par toute initiative qui pourrait être globale. Il est vrai, comme il l’énonce, que depuis les années 2000, les politiques migratoires commencent à être débattues dans des structures intergouvernementales et deviennent un enjeu de gouvernance mondiale. Néanmoins, bien que ces débats soient caractérisés par une tonalité pro-immigration, ainsi que par l’ambition de refonder ces politiques sur la base de principes universels, tout cela reste au stade d’ambition et aucune action réelle n’est mise en place, laissant tout le soin de la gestion des migrants aux mains des Etats. Malgré l’engagement dont les organisations internationales cherchent à faire preuve, en recommandant de mettre en place une gouvernance mondiale des migrations, celle-ci n’existe pas (ce que révèle par la crise des migrants depuis 2010). On y a remarqué que même au sein de l’UE, les Etats ont tendance à adopter des politiques unilatéralistes au sujet de l’immigration à l’instar de l’Allemagne. Les migrations, au lieu d’être considérées, comme elles le devraient, comme de nature profondément sociale et transnationale, demeurent à l’heure actuelle un problème national qui relève de la souveraineté de chaque Etat. Pour qu’il puisse y avoir ce cadre recherché, il s’agirait d’associer les différents Etats mais aussi des acteurs économiques et sociaux. Or l’implication de la société civile dans les pays d’accueil comme de départ reste modeste sur la question migratoire. La société civile fantasmée, consciencieuse et impliquée, serait un moyen de pression afin de repenser les enjeux migratoires, une problématique de choix en terme de gouvernance mondiale. De plus les implications de la société civile se trouvent souvent en situation de conflit avec les acteurs publics (Etat face aux associations de défense des Droits de l’homme : GISTI, LDH, Eglises…) au sujet des flux migratoires. Ainsi, sans consensus entre les différents acteurs, une gouvernance de niveau mondial est impossible.

Les entreprises, accélérateur de l’interdépendance, frein à la gouvernance mondiale ?

En plus de ce manque de généralisation à l’ensemble des secteurs de la société, cette réalité, restant anecdotique, ne se résume pas seulement à l’interdépendance grandissante entrainée par la mondialisation. De ce fait, on ne peut pas non plus résumer ce concept par la simple action d’agents politiques étatiques comme intergouvernementaux mais il faut également prendre en compte les entreprises ainsi que leur place grandissante dans la structuration de l’économie d’abord, puis de la société. Les Etats, qui ont tendance à garder la main sur la gestion comme on l’a démontré, doivent cependant composer avec la prise de pouvoir exponentielle de ces dernières pouvant aller jusqu’à représenter des enjeux stratégiques nationaux. On l’a vu avec la multiplication des retours de l’Etat dans les affaires des entreprises privées que ce soit en Allemagne (Kuka), en France (Les Chantiers de l’Atlantique) ou ailleurs par lesquelles il essaye de reprendre la main sur ces entreprises stratégiques pour lutter contre des offensives souvent chinoises afin de ne pas perdre trop de pans de souveraineté. C’est donc finalement au niveau de l’Etat que la principale gouvernance valable demeure.

3) Les Etats restent à la manœuvre

Nous l’avons vu, si l’idée d’une gouvernance mondiale contemporaine n’est pas sans fondement, elle n’est toutefois en rien l’alpha et l’oméga d’un monde économique et géopolitique grandement conditionné par un retour en force des Etats et des stratégies nationales. Le peuple cosmopolite de Kant œuvrant à la construction du bien commun se voit sévèrement battu en brèche par des intérêts nationaux divergents et à ce titre en confrontation.

Patriotisme économique et solidarité stratégique

La notion de « patriotisme économique » fait alors son retour en force dans le monde néo-libéral. Si les Etats occidentaux se revendiquent pour la plupart en faveur d’un libre-échange global (beaucoup moins depuis l’arrivée au pouvoir de D. Trump...) et de l’ouverture des marchés nationaux à travers le monde, le contexte géopolitique d’une mondialisation froide, post-crise des sub-primes, pataugeant dans la croissance lente, conduit, par l’effet de la concurrence, à l’avènement d’un gigantesque jeu de masques. Car en interne, les tendances nationales ne sont pas en adéquation avec cet idéal. Outrepassant le crédo libre échangiste, les Etats prennent des mesures de protection significatives, les risques pour les économies sont réels : le marché des panneaux photovoltaïques est, à ce titre, un exemple probant. La pénétration des panneaux chinois en Europe a précipité la mort des fabricants du vieux continent, créant une situation de dépendance dans un secteur d’avenir. Les interférences d’une supposée « gouvernance mondiale » sont absentes. Car ce ne sont pas les règles d’un cadre commun préétabli qui sont en jeu mais bien la logique de marché, et de concurrence pure.

Il relève donc du rôle de l’Etat d’intervenir, affirmant sa souveraineté. L’Allemagne est la première à prendre des mesures discriminatoires envers l’économie chinoise afin de limiter la pénétration de ses IDE. La protection s’observe également au sein même des organisations de libre circulation des capitaux comme l’Union Européenne. La France, a dans un premier temps freiner la reprise des Chantiers de l’Atlantique par l’Italie, pourtant partenaires économiques privilégiés. Les Etats sont donc bien là, surveillant en bons bergers leurs troupeaux.

Nulle organisation internationale, aussi ambitieuse soit-elle, ne contraint les Etats. L’OMC est en effet en situation de crise d’efficience et de crédibilité. L’ONU reste un géant aux pieds d’argile, lent, siège de confrontations inter-étatiques, et c’est là le cœur du problème : nul Etat ne passe de contrat cosmopolite, se séparant d’une part de sa souveraineté au profit d’une gouvernance mondiale. Les Etats s’opposent, font pression, appliquent leur droit de veto. Toutefois une réelle tendance se dégage depuis la fin du XXème siècle, une forme de gouvernance s’esquisse, non pas au niveau national, mais à l’échelle régionale.

La régionalisation : une nouvelle forme de gouvernance

Il n’est pas un continent aujourd’hui qui ne possède sa zone de libre-échange, son marché commun, ou sa zone de coopération économique (cf « bol de spaghettis"). Il est certain que les situations de ces espaces sont extrêmement différenciées et sont des exemples plus ou moins avancés d’intégration régionale. Toutefois leur nombre grandissant ainsi que leurs élargissements et approfondissements témoignent d’une tendance bien réelle.

L’UE fait figure de modèle international. Le régionalisme de demain est basé sur le fonctionnement européen et, bien qu’elle soit incontestablement en crise, son fonctionnement, ses perspectives d’évolution et son projet idéologique sont empreint d’une volonté de gouvernance, régionale. Car la seule réalité interétatique réussissant à contraindre ses membres par un cadre normatif fort, co-établie dans une perspective de poursuite du bien commun, est sans aucun doute cette organisation régionale. Bruxelles impose en effet une contrainte réelle sur la construction du budget, les normes de production et de consommation, et s’impose en Europe comme l’architecte d’une politique, osons prononcer le mot, d’austérité : ce « débat interdit » dont nous parle Jean Paul Fitoussi.

En ce sens, à défaut d’une gouvernance mondiale, la gouvernance régionale s’inscrit dans une dynamique plus concrète, efficiente, certes non sans failles, crises et contradictions, mais qui se rapproche le plus de la notion de gouvernance inter-étatique que nous avons préétablie.

Concluons. N’en déplaise à Bertrand Badie, la gouvernance mondiale n’a, de nos jours, rien d’évident. Si son omnipotence pourrait être justifiée par des nécessités bien réelles, fruits d’une société mondialisée interdépendante faisant face à de nombreux enjeux sur le plan du développement (changement climatique, question du développement durable, enjeux de lutte contre les cyberattaques mondiales…), son application effective se révèle bien limitée ; et pour ainsi dire, tout à fait anecdotique car les réalités d’une économie mondiale portée par le libéralisme (prônant, de fait, l’absence de régulation), l’économie de marché et la concurrence rude et sans merci, renvoient ces perspectives de gouvernance mondiale aux calendes grecques.
Le jeu mondial se déroule bien plus à l’échelle de l’Etat, fort de sa propre stratégie dans l’économie mondiale, et au sein de la coopération de ces Etats à l’élaboration d’un encadrement de leurs activités, comme un second pacte social, où ce n’est plus l’individu mais l’Etat qui remet sa souveraineté aux mains d’un « supra-Etat ». Si la gouvernance mondiale n’existe pas, la gouvernance régionale, elle, existe déjà.

Bibliographie
Rapport de conférence B. Badie au Lycée du Parc, 2017
Pour un autre regard sur les migrations, B. Badie
Vers un monde néo-nationale, B. Badie
Le débat interdit J.P. Fitoussi
Les grandes mutations du monde au XXe siécle, R. Bénichis

Clervie GRILLET - Renaud JACQUELIN - Hugo LEMAY, Prépa HEC, printemps 2018

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